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ROMÉO II.

À côté de la reine Cléopâtre, Mathieu aperçut Bélisaire qui vint lui demander pourquoi les marchands de gravures persistaient à le représenter comme un mendiant exclu du bureau de bienfaisance.

— J’ai fait la guerre, dirait son ombre, on m’a accordé les Invalides, et je suis allé mourir dans un magnifique, château. Rappelez donc ces détails vrais aux marchands de gravures, et, si d’honnêtes bourgeois persistent encore à m’acheter, priez-les de ne plus me suspendre dans leur salle à manger au-dessus de leur cave à liqueur.

Mais voici venir don Quichotte, plus maigre et plus gesticulant que jamais.

Pourquoi Cervantes m’a-t-il voué au ridicule ? pourquoi a-t-il plaisanté tous mes enthousiasmes ? Les libraires, en répandant à profusion les aventures du chevalier de la Triste Figure, ont tué, non-seulement la chevalerie, mais la galanterie. C’est depuis qu’ils ont lu ce livre abominable que les hommes sont devenus trop familiers avec les femmes. Ils ont cessé de leur offrir la main et de les mériter à force d’amour, et ils ont préféré les embrasser sur les joues et leur demander une grosse dot. Si j’ai pris des moulins à vent pour des châteaux, c’est là un tort moins grand que de prendre, comme à présent, les châteaux pour des moulins à vent. J’ai placé Maritome sur le piédestal d’une grande dame : hélas ! que de grandes dames vous wez placées au-dessous des cuisinières !

Comme l’ombre de don Quichotte paraissait disposée à parler longtemps encore, Mathieu ne jugea point-convenable de l’écouter davantage. Il s’éloigna, désireux d’ailleurs de se soustraire aux personnages qu’il avait jusqu’à présent rencontrés et qui le jetaient dans un ordre d’idées tout à fait contraire au genre d’émotions qu’il était vmu chercher dans cet endroit. Il marcha rapidement sans regarder les autres ombres près desquelles il passa.

Il ne se rendait pas parfaitement compte des scènes étranges auxquelles il assistait. De toutes les vagues suppositions inventées par son esprit, la plus vraisemblable était qu’il parcourait un musée de peintures, et que les personnages des tableaux, descendus de leur cadre, conversaient avec lui. C’eût été là un spectacle très-attrayant pour un curieux, mais pour un amoureux fanatique tel que lui, ce n’était qu’une corvée, qu’un défi jeté à son impatience. Il était venu