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LE SPHYNX.

elle continua sa douteuse besogne. Et puis, elle prit le marquis par la main.

— Écoutez-moi, Rougé, lui dit-elle, et ne vous fâchez pas. Je vous ai trompé.

— Itou ! s’écria-t-il, ne trouvant point d’autre imprécation à portée de sa colère.

— Oui, murmura madame du Songeux à qui cet aveu coûtait beaucoup plus qu’elle ne l’aurait cru ; vraiment, je ne peux pas vous épouser, mon pauvre ami.

— Et pourquoi ? et pourquoi ? s’écria-t il en se redressant de toute sa taille, aussi fièrement qu’auraient pu le faire en pareil cas ses ancêtres, s’ils avaient été de vrais marquis ; parce que je vous aime, moi, et que j’ai fait tout le mal que vous avez voulu ! parce que j’ai été votre ami, itou, sans vous quitter comme les autres !

Anna le regardait avec surprise. Il lui fallait bien dévorer de si justes reproches, et ces mots du cœur n’étaient pas si mal dits. Mais les gestes du marquis tournaient déjà du noble au tragi-comique ; il allait sortir, il revint sur ses pas ; le mal de Normandie le reprenait à la gorge.

— Et mon papier ! dit-il, mon papier, je le veux !

Mais Anna bondit vers la table et saisit les deux lettres. Elle avait gagné la chambre voisine et poussé les verrous avant que M. Rougé n’eût eu le temps de se reconnaître. Quand il ne la vit plus, sa colère tomba d’elle-même ; il s’éloigna.

Madame Éléonore, en sortant du château, avait rencontré Georges qui errait dans l’une des avenues.

— Allez dire à ma sœur, s’écria-t-il, qu’elle n’agit plus comme une femme bien née.

— Allez-le-lui dire vous-même, répliqua judicieusement la mairesse ; d’ailleurs elle s’en repentira bien toute seule, c’est moi qui le lui ai prédit.

Peu après le départ du marquis, on vint annoncer à madame du Songeux que le procureur du roi demandait à la voir. À la suite d’une longue conférence avec Georges et M. de Brennes, M. de L… ne doutait plus qu’il n’eût été le jouet de cette femme audacieuse et égarée. Il n’avait point imaginé d’autre châtiment à lui infliger que sa visite. Anna, accoutumée à diriger au gré de son caprice des gens que