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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/341

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L’INDE FRANÇAISE.

Un coup de vent la dispersa, la démâta et la jeta à la côte. Plusieurs navires périrent ainsi corps et biens. Le désastre était irréparable, il anéantissait tous les projets ultérieurs, formés pour des croisières et de nouvelles expéditions. La Bourdonnais cessa dès lors toute résistance ; il fit reconnaître d’Esprémesnil en qualité de chef de Madras, et se jetant, seul, dans une chelingue, par une mer affreuse, il rejoignit son vaisseau désemparé, fit route sur Pondichéry et de là sur l’Île-de-France. Le nouveau gouverneur des Îles, David, lui remit le commandement de six navires chargés pour le compte de la Compagnie. Ses traverses n’étaient pas terminées. Il lui fallait passer au milieu des escadres anglaises qui tenaient seules la mer. Au cap de Bonne-Espérance un coup de vent le sépara du convoi. Deux bâtiments ne reparurent plus. Trois autres le rallièrent ; ils les conduisit à la Martinique, d’où il repartit seul sur un navire hollandais. L’annonce d’une rupture entre les États et la France contraignit ce bâtiment à se réfugier dans un port anglais. La Bourdonnais fut fait prisonnier de guerre et conduit à Londres, où, non seulement on le laissa libre sur parole, mais où, par malheur, la Compagnie anglaise affecta de le traiter comme le protecteur de ses nationaux dans l’Inde. À peine de retour à Paris, il fut enfermé à la Bastille, le 2 mars 1748, accusé d’avoir pillé Madras et trahi les intérêts français. Tels sont les faits exacts consignés dans le mémoire justificatif de La Bourdonnais. J’insiste, car la vérité historique a été souvent altérée sur ce point. Un juge assesseur de la cour de Pondichéry, dans son Histoire de l’Indoustan, recueil d’assertions et de jugements contradictoires, reproduits par les écrivains postérieurs, affirme que le brave et malheureux gouverneur des îles fut arrêté par ordre de Dupleix et envoyé en France, chargé de fers. Il était plus simple d’en croire La Bourdonnais lui-même.

Il n’était sans doute coupable ni de pillage ni de trahison. Sa fermeté dégénérée en obstination, non moins que l’ambition d’exercer une autorité illimitée, l’ont seules perdu. Ses brillantes qualités en ont été obscurcies ; son patriotisme et son honneur étaient intacts. Les deux colonies de l’Île-de-France et de Bourbon, dont il a été le créateur, n’ont jamais oublié ce qu’elles lui ont dû. Son nom est resté justement célèbre dans les mers de l’Inde ; sa mémoire y est respectée. Plus heureux que Dupleix, une popularité soudaine le couronna dès sa sortie de la Bastille. Il n’est pas jusqu’au poëme de Bernardin de Saint-Pierre qui n’ait ajouté un attrait de plus et comme un charme romanesque à