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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/348

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LE PRÉSENT.

Chargé d’infliger à l’Inde française l’humiliation et la ruine, Godeheu avait sollicité la mission de porter les premiers coups à Dupleix. Depuis trente ans, l’obligé et l’ami de ce grand homme, il lui devait sa fortune et sa place de directeur de la Compagnie. Toutes les lâchetés de l’envie et de l’impuissance excitèrent ce misérable et le conduisirent à Pondichéry. L’attitude morne de la population, le silence hostile des troupes appelées à reconnaître ses pouvoirs, l’accueillirent au débarquement. Dénué de renseignements, sans crédit, sans relations, inconnu dans l’Inde et déjà méprisé dans la colonie, un mot eût suffi pour mettre à néant la mission et l’homme. Peut-être eût-il été du devoir strict de Dupleix de sauvegarder nos immenses possessions acquises et l’avenir plus brillant encore qui nous était promis, en déchirant des ordres absurdes. Sa popularité, la confiance sans bornes des nations indigènes, le dévouement de l’armée, tout lui permettait d’agir ; le salut même de la France orientale, qu’il avait fondée et qui allait être anéantie, le lui prescrivait. Mais il sacrifia malheureusement ces considérations d’intérêt général à son désintéressement personnel ; il crut qu’il était de sa dignité de se soumettre avec autant de calme qu’il avait apporté d’ardeur et de persévérance dans l’action. Ce fut son unique erreur, mais elle était irréparable. Il mit un stoïque orgueil à renseigner Godeheu ; il obtint de Bussy, qui voulait tout abandonner pour l’accompagner en Europe, qu’il poursuivrait seul l’accomplissement de leur œuvre commune. Abnégation inutile, grandeur d’âme dépensée en pure perte, ainsi qu’il était aisé de le prévoir. Le commissaire de la Compagnie, médiocre, étroit, bassement envieux, ne voulut rien comprendre. Ni les lettres successives de Bussy, qui démontraient que l’admirable situation de nos affaires dans le Dekkan nous donnait une préséance indiscutable, ni les mémoires circonstanciés de Moracin, directeur de Matçulipatnam, sur notre suprématie politique et commerciale à la côte d’Oryçah, ni les instances généreuses de Dupleix lui-même, ne purent éclairer Godeheu. Il se hâta de traiter aux conditions les plus désastreuses. Saunders, gouverneur de Madras, le joua et lui fit signer l’abaissement définitif de nos comptoirs.

Le rôle politique de Dupleix était terminé ; mais ce premier résultat n’avait point assouvi la haine de son ennemi. Il s’agissait, en dernier lieu, de le frapper dans sa fortune, dans celle de sa famille et de ses