Aller au contenu

Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
335
L’INDE FRANÇAISE.

battre dans l’Inde. La Compagnie anglaise assiégea de ses plaintes le cabinet de Versailles. Elle se garda d’avouer que cette guerre avait été fomentée par ses agents seuls ; qu’elle avait voulu livrer le Dekkan à un obscur Mongol, meurtrier de son pupille, soudoyé pour ce crime, et la nababie d’Arkate au fils de cet assassin ; qu’elle avait coutume d’égorger les prisonniers assez confiants pour ajouter foi à ses sauf-conduits ; que ses alités eux-mêmes s’indignaient de ses atrocités et de son insatiable avarice ; mais elle accusa Dupleix de tout ce dont elle était coupable. Elle dénonça son ambition effrénée, sa haine aveugle contre une honnête compagnie pacifique et commerçante ; enfin, prouvant ainsi à quel point elle était convaincue de l’imbécillité du ministère français, elle lui signala le gouverneur de Pondichéry comme un traître qui ruinait à plaisir les affaires de sa propre nation dans l’Inde.

Il eût, certes suffi à tout gouvernement doué du sens politique le plus rudimentaire, que de telles accusations fussent énoncées par une compagnie rivale, par un peuple ennemi, et, qui plus est, par le seul peuple animé d’une inextinguible haine de race, pour féliciter un de ses agents de les avoir méritées, pour se hâter d’étendre ses pouvoirs et l’appuyer plus énergiquement ; mais Louis XV et ses ministres ne constituaient pas un gouvernement ordinaire, et les directeurs de la Compagnie française étaient des marchands de denrées coloniales, dont l’entendement n’embrassait rien au delà d’un état explicatif de colis expédiés ou reçus.

Les conférences de Londres s’ouvrirent. Il y fut décidé que des commissaires spéciaux se rendraient dans l’Inde pour y conclure un traité de paix définitive entre les deux compagnies, et qu’on rappellerait, de part et d’autre, les gouverneurs de Pondichéry et de Madras. Or, il advint que nous fûmes, même en ceci, impunément dupés par les Anglais, car Saunders, parfaitement instruit des affaires de l’Inde, fut en effet rappelé fictivement à titre de gouverneur de Madras, mais demeura en qualité de plénipotentiaire ; tandis que le directeur Godeheu, ignorant et incapable, vint remplacer Dupleix. Aussi, dès que le bruit avant-coureur de ce rappel déplorable se épandit dans tous les comptoirs des deux côtes, il fut accueilli par une incrédulité générale. De tous les événements imprévus c’était en effet le plus extraordinaire.