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THÉÂTRES.

par exemple, trouverait que Rosine prend la plume bien spontanément, qu’elle s’évanouit à merveille et se foule le pied à ravir. Bartholo, le vieillard méfiant et désenchanté, ne perd pas un seul de ces pronostics : ils frappent tous sa vue, et ses alarmes seront à peine calmées lorsque l’oiseau impatient de la liberté sera enfermé dans une cage solide. Il ne croit guère à la vertu, il n’a confiance que dans la fidélité garantie par l’anneau de Hans-Carvel, et se figure posséder seulement ce qu’il tient dans la main ou serre sous le bras. « À quoi bon aller au spectacle, dira-t-il, puisque l’on n’y représente que des fictions ? » Par ces motifs et autres semblables on n’est pas fâché de lui voir ravir un trésor dont il ferait mauvais usage.

Quel dommage que Figaro ressemble un peu trop à une édition d’aphorismes que Beaumarchais aurait recueillis sur sa route pour son propre usage ! « Entrez, a-t-il l’air de dire à tout ce bagage préconçu, et faites-moi honneur en passant par la bouche du plus joli barbier de France et de Navarre. » Mais, hélas ! la scène répugne à ces accommodements ; les plus brillantes idées écloses grâce au seul bon plaisir de l’auteur fatiguent, et le public leur retire son attention. Le public n’a point tort : il va au théâtre surtout pour y rencontrer le mouvement et la vie. Ne lui servez donc jamais des hors-d’œuvre, des situations indécises qui ont besoin de longs commentaires, et remettez-vous-en plutôt aux faits, aux actes, aux gestes, pour expliquer les personnages. Lorsqu’une situation est bien trouvée, un génie médiocre pourrait la développer convenablement. L’esprit le plus exercé, au contraire, ne saurait galvaniser de pauvres idées.

M. Théodore Barrière, par exemple, n’avait aucun motif artistique d’écrire les Parisiens de la décadence. Pas de caractères, pas d’intrigue. Mais le moyen de renoncer à une foule de saillies échappées aux ateliers de peinture et aux réunions littéraires ? C’est pour les utiliser que nous lui avons vu inventer une scène en faveur d’un mot, un personnage en l’honneur d’une phrase ; puis lorsque le rideau tombe sur le cinquième acte, qu’a-t-on entendu ? Des mots, des mots, des mots ! comme dit Shakspeare.

Beaumarchais fait naître quelquefois en nous la même réflexion. Je ne le chicanerai pas au sujet de Rosine ; il est si difficile de faire parler une jeune fille qui s’ignore, dont les ailes s’ouvrent avec toutes les hésitations de l’inexpérience, les curiosités des vagues désirs et les