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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/37

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LE SPHYNX.

nier parfum, et l’odeur pénétrante des seringas et des chèvrefeuilles s’élevait partout du fond des massifs.

— Nous sommes bien ici, dit Arsène.

— Non, non, dit-elle, allons plus loin.

En arrivant sur la route, madame du Songeux saisit le bras de son compagnon, et celui-ci s’aperçut qu’elle le conduisait vers le bois. Dès qu’ils y furent entrés, le silence se fit entre eux d’un commun accord. Ils marchaient au milieu des halliers : malgré le peu de largeur du chemin, Anna ne quittait point le bras d’Arsène ; elle s’imaginait qu’elle allait sentir battre son cœur lorsqu’ils seraient arrivés devant l’endroit où il avait rencontré Julie. Mais ils dépassaient une à une les retraites les plus mystérieuse du bois, Arsène était calme ; Anna cherchait en vain à surprendre son regard errant sous le taillis. Toujours muets l’un et l’autre, ils avaient atteint ainsi l’avenue principale qui sépare le bois en deux parties ; ils la descendirent lentement, ils étaient devant la ravine. Le bel Onfray avait trop compté sur ses forces, il tressaillit et malgré lui s’arrêta. Les yeux d’Anna plongèrent au-dessous d’elle. L’émotion d’Arsène lui avait tout dit et ne lui apprenait rien. Dans le fond de la ravine, elle ne vit que son frère !

Georges était assis au bord du ruisseau, il semblait rêver profondément et tenait sa tête entre ses mains. Arsène, étrangement embarrassé, ne trouva pas d’autre moyen d’échapper à sa compagne que d’appeler son ami.

L’artiste se leva précipitamment comme un lycéen surpris en faute, il réjoignit les deux promeneurs et se mit à marcher à côté d’eux, sans avoir dit non plus un seul mot. Ce silence à trois devenait à chaque pas plus comique et aussi plus pénible. Le bel Onfray ne pouvait cacher sa confusion, madame du Songeux avait quitté son bras, et, lorsque le regard du jeune homme se croisait avec le sien, elle lui renvoyait en guise de réponse un sourire aiguisé comme la pointe d’un poignard. Tout à coup, cédant à son impétuosité ordinaire, elle revint sur ses pas : son dépit lui avait rendu la légèreté d’un enfant. D’un bond elle gravit le monticule, du haut duquel, dans ce fameux jour si rempli d’événements, Georges d’abord et Arsène après lui avaient aperçu Julie Moreau dans la ravine.

— Y serait-il descendu pour moi ? se demanda-t-elle.

Les jeunes gens l’attendaient dans l’avenue.