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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/38

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LE PRÉSENT.

— Vous méditiez là un tableau ? dit-elle à son frère. N’oubliez pas, dans monsieur, un de vos personnages les plus importants. Parmi les autres, choisissez une femme jeune, grande, maigre… vous la peindrez d’ailleurs comme il vous plaira, brune ou blonde, mais vous lui mettrez un rasoir en main… Cela vous paraît étrange ? reprit-elle en s’adressant à Arsène avec une hauteur furieuse. L’idée l’est en effet, mais j’y tiens… Georges ne sourcilla point.

— Madame, interrompit Arsène, c’est plus haut dans le bois que l’autre jour la vipère m’avait mordu…

— Aujourd’hui donc c’est ici, répliqua froidement Anna.

En approchant du château elle lui dit à voix basse : — Si je savais que vous eussiez vraiment rencontré cette femme et que vous lui eussiez parlé, je ne voudrais pas vous voir de ma vie… Vous m’avez menti, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle ; c’était bien là ? Hé bien non ! je ne vous verrai plus…

— Comment voulez-vous qu’on vous aime ? murmura-t-il, vous avez l’âme de Junon.

Elle ne répliqua rien, elle trouva qu’il pardonnait encore bien plus aisément qu’elle ne l’aurait cru. Il avait oublié M. de Brennes comme il oubliait à présent l’injure qu’elle venait de lui faire. C’était la seconde fois qu’il s’exposait au dédain de cette femme impérieuse et vindicative, mais si pénétrante et si résolue. Pour le connaître mieux, cependant, elle ne l’en aimait pas moins, et ne fondait sur lui que plus de projets.

— Nous ne nous querellerons donc plus ? dit-elle.

Georges n’était plus là depuis longtemps, il fuyait décidément les siens. En entendant sa sœur insulter une fois de plus Julie, il n’avait éprouvé qu’une violente envie de revoir à l’instant même la jeune femme, ne fût-ce que pour protester, au moins par sa visite, contre le mal qu’on lui faisait. Il avait fallu cela d’ailleurs pour l’arracher à l’hésitation et aux craintes vagues auxquelles il était en proie depuis quelques jours. Le jeune homme avait rapporté de sa première entrevue avec la jeune veuve un sentiment bizarre, à la fois doux et cuisant, qui s’élargissait dans son cœur comme une blessure. Tout plein encore de l’étonnement que lui avait causé la vue de Julie, il n’avait point osé retourner à la Maison-Grise ; à cette heure il ne craignait plus rien, il