Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
370
LE PRÉSENT.

et le mystérieux préparateur du siècle suivant, admirable tableau d’ailleurs, qui convenait merveilleusement au génie de l’historien.

M. Michelet est en effet le seul historien qui soit jamais entré si avant dans le secret de ces terribles drames. À l’exemple de bien des poètes, c’est souvent dans la douleur qu’il a voulu chercher le Beau ; mais il l’a aimé toujours avec fanatisme, avec fureur même, et voilà pourquoi les fantaisies les moins explicables de ce grand esprit quelquefois abandonné, voilà pourquoi ses rêves les moins ordonnés ont encore tant de charme. On l’a dit souvent : Il y a dans ce talent dont le fond est si sérieux, dont la tournure a tant d’éclat et de force, il y a quelque chose de tendre qui court comme un frisson d’avril sous les grands chênes, quelque chose de féminin, s’il faut tout dire, qui fait sans cesse oublier la méthode et la science qui président à tous les livres de l’historien, science unique peut-être, méthode d’autant plus admirable qu’il n’a jamais daigné la laisser percer. Mais comme on le prend à être savant malgré lui ! La soif d’apprendre et l’impatience de raconter ce qu’il sait de la veille le poursuivent sans relâche et le mènent d’une rive à l’autre le long du grand fleuve des lettres, dont il aura bientôt suivi tour à tour tous les courants. Ces brusques évolutions d’esprit, ces changements d’étude sort en lui chose si familière que je ne comprends point qu’on s’étonne de l’apparition de son nouveau livre. Ce livre s’appelle l’Insecte ! Et pourquoi pas ? M. Michelet était historien hier ; il est naturaliste aujourd’hui. Qu’y a-t-il donc là qui puisse choquer les hommes de goût ? Je sais que beaucoup de gens affectent de sourire en regardant le livre. — Au sortir de l’Histoire de la Réformation, disent-ils, M. Michelet nous a donne YOiscau : voilà qui est bien ; mais, une seconde fois, après l’Histoire de la Ligue et d’Henri IV, faire le livre de l’Insecte, c’est trop. Et qui nous assure que l’année prochaine, après l’Histoire de Richelieu, nous n’aurons pas celle des mollusques ? — Je répondrai comme tout à l’heure : Pourquoi pas ?

Il me semble que la critique maligne devrait s’attacher d’abord à chercher-comment et pourquoi M. Michelet a écrit ce livre. L’insecte, en effet, est venu au monde d’une façon si simple, et sa production paraît si logique à ceux qui connaissent l’écrivain qu’elle peut s’expliquer d’un mot. L’amour immense, plein d’ardeur et de pieuse fougue, que M. Michelet parle à la nature l’a conduit dès longtemps à en poursuivre les secrets ailleurs que dans l’homme et dans l’histoire, et la tendresse de son cœur l’a poussé vers les infiniment petits. « Ce livre, dit-il lui-même, est tout sorti du cœur. On n’a rien donné à l’esprit, rien aux systèmes ; on s’est abstenu d’entrer dans les disputes scientifiques. » Il semble aussi qu’une intime et charmante influence présidait aux nouveaux projets du grand écrivain-poète et l’encourageait au milieu de l’aridité inséparable des premières études naturelles. — « Dans les longues lectures de naturalistes et de voyageurs qui nous préparèrent l’Oiseau, et pour lesquels il ne fallait pas moins