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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/408

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LE PRÉSENT.

heure à attendre son ami et son squelette !… — Il fit une moue d’impatience, pirouetta sur les talons (le docteur avait parfois dans ses mouvements une vivacité plus méridionale que britannique) et finit par s’asseoir d’un air à demi résigné. Il s’établit devant une table d’acajou massif, sur une chaise dont tous les éléments se composaient également du même bois. Ces meubles étaient aussi durs qu’ils étaient riches. Le maître de la maison voulut servir lui-même le pot d’ale au célèbre praticien.

— John, lui dit celui-ci avec un ton de brusque cordialité, savez-vous pourquoi vous et vos rusés compères taverniers vous nous faites asseoir sur du bois ?

— Non, monsieur James, répondit avec bonhomie le maître de la taverne ; je n’en sais rien : nous suivons l’usage de nos prédécesseurs, et à soup sûr ce n’est pas par économie, car un seul de ces sièges a la valeur de deux fauteuils bien rembourrés.

— Soit, ce n’est pas par économie, mais ce n’est pas non plus esprit de désintéressement.

— Que veut dire Votre Honneur ?

— Je dis qu’on est si durement assis sur ce bois massif que l’activité des consommateurs ne peut s’endormir là-dessus…

Ce disant le docteur vida sa pinte d’étain, et, la donnant à remplir à M. John, il ajouta, en frappant son siège du plat de la main :

— Pour faire trêve au supplice qu’on endure, on est bien obligé de s’adresser à sa pinte plus souvent que la raison et la soif ne l’exigent.

M. John sourit en silence et embrassa d’un coup d’œil complaisant les habitués assis dans la salle. Ce regard muet semblait prendre l’assistance à témoin de l’honneur que voulait bien lui faire le célèbre docteur en lui adressant une plaisanterie familière.

— Ha ! voici M. Léon ! fit le docteur en voyant entrer un habitué. Bonjour, monsieur Léon. Je suis bien aise de vous voir. Votre rencontre vient à propos pour me faire patienter jusqu’à midi.

M. Léon était un peintre de portraits en miniature. Il excellait dans ce genre, et depuis son arrivée à Londres (M. Léon était étranger) les ladys et les miss avaient assidûment occupé le pinceau de l’artiste à reproduire leurs têtes gracieuses. M. Léon était devenu le portraitiste à la mode. La garniture obligée des médaillons et des broches aristocratiques devait sortir de l’atelier du peintre. Celui-ci recueillait à cette