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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/437

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L’INDE FRANÇAISE.

major de la place, la foule des indigènes, la colonie entière accompagna jusqu’au bord de la mer le noble chef qu’elle perdait. Lui-même en fut troublé au point de verser des larmes. Ces marques d’attachement et de respect persistèrent et lui survécurent. Jusqu’à la nouvelle de son arrivée à Lorient, on se plut à croire dans l’Inde qu’un contre-ordre lui avait été remis à l’Île-de-France ou au Cap de Bonne-Espérance, et qu’il allait reprendre possession de son gouvernement. Ces bruits contribuèrent à maintenir notre influence compromise, et Godeheu, effrayé des effets de sa mission, engagea les chefs de comptoirs à confirmer les provinces dans cette illusion. Son impopularité, qui ne s’était encore manifestée que par un silence hostile et une obéissance contrainte, prit un aspect plus inquiétant quand les articles conditionnels, signés entre les deux Compagnies au mois de décembre 1754, furent communiqués à la colonie. Nos intérêts vitaux y étaient radicalement sacrifiés. Nous traitions encore sur les bases d’une égalité parfaite dans les termes, mais, en fait, nos renonciations étaient réelles et celles des Anglais purement fictives. Il était incroyable qu’avec l’immense supériorité que nous donnaient à cette époque, comme au traité d’Aix-la-Chapelle, nos possessions et nos alliances, nous fussions contraints d’acheter une paix ignominieuse qu’il nous appartenait d’imposer. Non seulement nous abandonnions nos propres comptoir, mais nous disposions, à l’insu de Çalabet-Cingh, de ses provinces elles-mêmes, en garantissant aux Anglais la soumission de notre allié et de notre protecteur, puisque nous nous engagions à le contraindre par la force des armes. Il ne nous restait, enfin, qu’un recours unique contre ce traité monstrueux, c’était son impossible absurdité. Godeheu s’embarqua à la hâte, chargé des malédictions de la colonie, et Duval de Leyrit, nommé gouverneur général de nos établissements, voulant prévenir nos désastres autant qu’il était en lui, laissa Bussy maître absolu de ses opérations militaires et politiques dans le Dekkan. C’était le seul homme digne de remplacer Dupleix et de relever l’honneur de la nation.

Charles de Castelnau, marquis de Bussy, doué d’une bravoure brillante, d’une générosité déjà proverbiale dans l’Inde, parlant les divers dialectes des provinces où il commandait, avait acquis dès cette époque un ascendant sans égal sur les populations musulmane et hindoue. Il unissait à tant de qualités extérieures une rare étendue