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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/438

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LE PRÉSENT.

d’esprit, qui n’excluait en lui ni l’intelligence vive et sûre des détails politiques, ni le plus absolu désintéressement. Il n’y avait place, dans cette âme vraiment grande, que pour le dévouement sans bornes à la France et pour la passion d’une gloire pure. Sa fortune et sa vie devaient être sacrifiées à ce double idéal ; mais l’unique récompense qu’il ambitionnât lui était dès lors promise et assurée : la gratitude unanime de ses compatriotes et l’estime constante des ennemis de son pays.

Après le couronnement de Çalabet-Cinph à Aurang-Abad, le détachement français s’y était régulièrement établi ; mais le Çubah, désirant qu’un intérêt plus sérieux qu’une solde de guerre retînt ses alliés dans son pays, nous avait déjà concédé, au mois de février 1754, quatre riches provinces de la côte d’Oryçah : Radji-Mundri, Eléur, Muçtafa-Nagor et Cikakol. Une heureuse campagne contre les Mahrattes de Nakpur, qui avaient incendié des villes frontières, confirma le Çubah dans ses dispositions bienveillantes, et Bussy avait pu hiverner paisiblement à Radji-Mundri. Tous les radjadhs tributaires s’y étaient rendus, porteurs des présents accoutumés, afin de reconnaître les pouvoirs du chef français, qui leur fit une réception amicale et les congédia avec un Naçer de vingt mille roupies.

Telle était la situation de nos affaires, quand le rappel de Dupleix fut signifié à Çalabet-Cingh par Godeheu. Le Çubah écrivit à Bussy : « J’ai donné tout le Karnatik au frère de mon père — Dupleix, — dans l’espoir qu’il triompherait de nos ennemis communs, et j’apprends avec la plus vive douleur qu’il vient d’être révoqué. Vous m’aviez promis votre alliance et votre protection ; mais je crois que les Anglais sont plus puissants que vous et que je dois me les rendre favorables. »

À la réception de cette lettre et des nouvelles instructions qui lui étaient adressées par le commissaire de la Compagnie, Bussy voulut, ainsi que je l’ai dit, suivre Dupleix en Europe. Celui-ci le détermina à lutter avec une plus grande énergie contre tant d’obstacles imprévus. Tout était perdu s’il cédait à la force des événements ; tout pouvait être sauvé s’il persévérait. Bussy accourut donc à Auraug-Abad, rassura Çalabet-Cingh, et, pour mieux le convaincre que l’armée française du Dekkan lui était dévouée comme par le passé, il lui proposa de le soutenir ouvertement dans une expédition projetée contre le Radjah du Maïçur, qui refusait le tribut. On marcha sur Ceringapatnam, vers laquelle s’avan-