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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/466

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LE PRÉSENT.

est là, bien chaudement, clos à merveille, sans souci, en face d’une belle flamme, assis dans un bon fauteuil ? Eh bien ! Octave, tu ne dis rien ?

— Je rêve.

— Tu rêves ! Non : tu penses à Mlle Ernestine, à ta place manquée, sans tenir compte de mes promesses.

— Je vous assure que…

— Tu rêves ! Tu te fourres un tas de chimèrés entête. Morbleu ! J’ai été jeune aussi, et, à ton âge, j’étais gai. Crois-tu que, comme toi, je n’aie pas souhaité des choses absurdes, charmantes, impossibles ? J’avais, au moins, l’esprit, quand il pleuvait, d’oûvrirmon parapluie et de faire bon visage au mauvais temps et à la mauvaise fortune.

— Votre pipe s’éteint.

— Décidément, reprit mon oncle en aspirant de fortes bouffées, la vieillesse est la saison de la vie la plus enviable, la seule où l’on sache fêter sérieusement le bonheur. À mon âge on se repose, on descend la vie en sommeillant à demi, comme une barque qui suit le courant sans l’effort de la rame ; on se laisse vivre, et l’on jouit de ce qu’on a, car on n’espère plus rien. L’espérance, mon ami, c’est une maladie dont on meurt… très-tard ; j’en suis la preuve. L’espérance ! un grand mot, doux et triste, mais vide ! Quinze épines pour une fleur, voilà l’espérance ! Vous autres jeunes gens, vous vous agitez comme des démons dans un bénitier, sans profit pour vous ni pour personne : vous passez le plus beau temps de votre vie à oublier de vivre. Aujourd’hui la jeunesse est maussade, elle veut devenir riche, elle songe à ses affaires, elle baye aux grues de l’avenir, sans avoir l’air de se douter que les heures présentes, les plus fleuries, s’envolent, emportant dans leur fuite des plaisirs à jamais perdus. Il viendra, l’avenir, avec la mort au bout, et vous serez bien avancés, n’est-ce pas ? Vous mériteriez le sort du roi Midas, et je voudrais vous voir mourir de faim et de soif devant les joies de ce monde changées en or.

— Mon oncle, je ne vous ai pas encore vu aussi méchant.

— Devenez raisonnables. Morbleu ! le soleil n’est-il pas toujours beau ? N’avez-vous pas dans la poitrine un cœur qui bat à la vue d’une jolie fille ? L’air qu’on respire est-il plus malsain qu’au temps de ma jeunesse ? Non ! je me porte bien, et mes jambes me portent à merveille. J’ai une canne, il est vrai, mais c’est un jonc de Verdier, flexi¬