Aller au contenu

Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/467

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
447
LA PHILOSOPHIE DE MON ONCLE.

ble et veiné, avec une pomme d’or ciselé. De mon temps, petit, on riait, on riait, et, quand on avait jeté son bonnet par-dessus les moulins, on ne s’inquiétait guère de courir après, dût-on y trouver au fond de quoi payer ses dettes. Tiens ! vous n’avez pas le sens commun, vous avez tous le diable au corps ; vous avez renié la folie sans y gagner un brin de sagesse : vous êtes rêveurs à vingt ans, pensifs à vingt-cinq, désenchantés à trente. Tant pis pour vous ! ce n’est pas ma faute.

Le discours de mon oncle menaçait d’être interminable ; je coupai court à sa tirade en lui offrant de la crème dans son thé.

— Merci ! me prends-tu pour une petite fille ? Un marin ! boire du lait ! Du rhum ! va donc, verse… as-tu peur de me griser ? Je suis solide comme un mât de beaupré.

— Cicéron prétend que les vieillards…

— C’est un sot, un impertinent, s’il a dit cela, interrompit mon oncle.

— Cicéron, au contraire, a fait l’éloge de la vieillesse, repris-je en riant.

— À la bonne heure ! je lui demande pardon de ma vivacité Octave, on nous croit à plaindre, nous vieillards ; mais, si nous tenons tant à la vie, c’est qu’elle nous semble bonne.

— Vous avez l’expérience.

— Chose inutile à tout le monde. L’expérience ne sert de rien à ceux qui ne l’ont pas, et ceux qui l’ont gagnée à la bataille de la vie ne savent plus qu’en faire. Un pantalon est-il bien nécessaire à un invalide quia deux jambes de bois ?

— Vous avez beau dire, on rencontre çà et là sur son chemin mille petites misères.

— Bah ! on passe à côté. Moi, ne suis-je pas heureux ? Que memanque-t-il ? Je me lève quand je veux, je me couche quand il me plaît, je vais où mon caprice me pousse, je m’appartiens, je m’aime. Je m’habille tout seul, je dors bien ; j’ai encore, malgré mes soixante-sept hivers, d’excellents yeux et je lis sans lunettes. Mon appétit est superbe, et mes vingt-neuf dents sont blanches.

— Que ne vous êtes-vous marié ! Vous étiez né pour les joies tranquilles du ménage.

— Perdre ma liberté, oh non ! Le seul moyen de rendre une femme heureuse, c’est de ne pas se marier. D’ailleurs, me marier, à quoi bon ? N’es-tu pas mon enfant, toi ? n’ai-je pas le plaisir de te prêter souvent