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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/48

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LE PRÉSENT.

VII

La petite ville de Laverdie n’avait qu’une rue pour ainsi dire, mais elle n’avait aussi qu’une seule place ombragée par une double allée de tilleuls qu’on taillait en boule tous les ans, comme des buis, par ordre du conseil municipal. Ces deux allées d’arbres martyrs conduisaient à l’église, qui s’élevait au fond de la place : à droite était la maison de ville, un Capharnaüm légal, le phalanstère de l’autorité, qui contenait toutes sortes de personnes et de choses, depuis l’école jusqu’à la prison, et depuis le maire jusqu’au bedeau, qui en était le portier ; à gauche enfin, un autre édifice, le plus important de cette partie du bourg, l’hôtel de la Tour d’argent qui écrasait tous les cabarets par la seule majesté de ses trois étages et aussi par la grandeur de ses souvenirs ; car on disait que, passant par là, un secrétaire de M. de Lafayette y avait autrefois couché une nuit. Or, quatre jours après la promenade confidentielle du bel Onfray et du maire et leur rencontre avec Georges, un vendredi, à trois heures de relevée, par un temps superbe, la voiture de Bayeux débarqua, devant l’hôtel, un fort beau monsieur vêtu d’un habit noir, à basques seulement un peu larges, qui fît tant de bruit, dès son entrée, que toutes les maritornes s’écrièrent : Voici encore un personnage. L’hôtesse elle-même se complaisait à examiner l’habit étoffé du nouveau venu, sa mine florissante et fière, et surtout la montagne de bagages qu’il avait fait déposer à la porte, lorsqu’un des tigres de M. de Rougé, qui jouait à la brisque avec le garde champêtre, dans la salle basse, s’approcha pour toiser l’habit noir et se mit à faire la grimace : « Ceci est un valet de chambre, » dit-il à l’hôtesse. L’homme aux colis demanda en effet un appartement comfortable pour Monsieur et pour lui-même. Monsieur presque aussitôt arriva, et les gens de l’hôtel reconnurent le gentilhomme parisien qui logeait au petit château depuis deux mois.

Arsène, précédé de l’hôtesse et suivi de François (c’était le nom du valet), explora toute la maison. Il y retint enfin trois grandes chambres contiguës, exposées au couchant, de telle façon que les six fenêtres s’ouvraient sur la rue et non sur la place, qui possédaient, à elles trois,