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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/506

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LE PRÉSENT.

avec les délateurs ; il fait prendre les plus décriés d’entre eux ; ils sont fouettés en plein amphithéâtre, aux applaudissements du peuple, et jetés en exil.

On ne trouverait à Domitien qu’un avantage réel sur Titus, s’il n’avait su le gâter comme tout le reste. L’indulgente humeur et la facile bonté de Titus laissaient aisément flotter les rênes du gouvernement et des mœurs romaines. Domitien paraît avoir eu l’instinct et la volonté d’une sévère justice si nécessaire à Rome. Il jugea quelque temps assidûment au forum, cassa, les sentences dictées par la faveur, releva les juges du péché d’indulgence, poursuivit à Rome eidans les provinces les magistrats prévaricateurs et concussionnaires ; il imprima à ceux-ci une terreur si salutaire, que, dit Suétone, jamais Rome et ses provinces ne furent mieux gouvernées que pendant ce temps-là. Austère censeur des mœurs publiques, Domitien ôte aux femmes qui ne le méritent plus, l’honneur de se faire porter en litière, et l’avantage de recueillir des successions et des legs ; il dégrade un chevalier qui reprend sa femme après l’avoir légitimement répudiée ; on regrette seulement que Domitien n’applique pas à son ménage, à lui-même, cette juste sévérité, car il ne refuse aucun honneur à Domitia, et fait comme le chevalier qu’il punit. Sous lui, quatre vestales coupables sont jugées, condamnées, et l’une d’elles enterrée toute vive, selon la vieille coutume. Le grand pontife, alors au sénat, rend l’esprit quand il en reçoit la nouvelle. On n’était plus accoutumé à ces terribles jugements. Quand on abandonnait les prescriptions des vieilles mœurs, pourquoi en conserver les austères rigueurs ? On comprend que les Romains aient préféré Titus, — qui se faisait pardonner ses vices en n’exigeant pas l’imitation de ses vertus, à Domitien, — qui ne faisait point accepter ses vertus, en gardant pour lui la liberté au vice comme un privilège impérial.

Pour être juste envers les deux frères, il faut faire’observer cependant que Titus ne régna que deux années et Domitien quinze. Si Domitien continue Titus au commencement de son règne, comment ne pas craindre que Titus n’eût peut-être commencé Domitien, s’il avait plus vécu ? Caligula et Néron avaient aussi bien commencé ; il est rare que le pouvoir n’exerce point d’abord sur ceux qui y arrivent une influence salutaire, et que le trône ne rende pas quelque temps meilleurs ceux qui y prennent place ; c’est le temps qui, là comme partout, constitue l’épreuve décisive. Titus eut autant de bonheur que de vertus, si pour sa gloire il mourut à temps. J’ai peine à croire cependant que le pouvoir, en le gâtant & h longue, en eût jamais fait ce qu’est devenu Domitien ; il avait en lui deux grandes ressources : du cœur, comme nous l’en avons vu montrer à son père, à Bérénice, à son frère ; de la conscience, comme nous le verrons à sa mort ; plus de cœur même et de conscience qu’on n’est accoutumé d’en trouver dans un Romain. Domitien n’eut jamais que quelques vertus apprises qui faisaient comme partie de son rôle d’empereur, et que démentait sa conduite privée. Il n’eut ni conscience, ni cœur ; c’est ce qui a fait de lui, quand il eut une fois jeté son masque d’emprunt, le