Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il y a du courage à écrire un livre contre les faux dieux. Je crois bien que l’argent a été de tout temps le pivot des sociétés, mais sur ce pivot-là notre société moderne ne se contente plus de tourner paisiblement comme celles qui l’avaient précédée ; elle tourbillonne etsc rue au bord du gouffre ou bien au seuil de l’ère nouvelle, ivre, haletante, écumant de rage ou de désir. Qu’adviendra-t-il de cette danse vertigineuse qui a ébloui jusqu’à des sages ? Est-ce le bien, est-ce le mal qui sortira des flancs de ce monstre pris de vin qu’on appelle la spéculation ? Je demande pardon aux lecteurs de la Revue de cette métaphore un peu surannée, et maintenant que la voici faite je m’en repens pour qu’on l’oublie. L’avenir décidera si la folie de notre temps était bonne ou mauvaise. Pour le moment le spectacle qu’elle nous donne est laid, parce qu’il est sot.
Depuis quelques années beaucoup de choses ont été dites à propos de l’argent. Les uns ont sonné d’un ton lugubre le glas de notre société, les autres ont chanté la victoire des intérêts qui seront désormais nos seuls maîtres. Il y a eu des exposés de principes et des recueils d’anas où les millionnaires ont été moqués tout d’abord puis traités en bêtes curieuses, célébrés enfin comme des hommes forts ! pauvre mot qui ne dit rien ! Le million a été conspué, puis fait roi, puis fait Dieu. On s’est querellé pour ou contre lui, l’on ne s’est rien prouvé, cela est ordinaire. Mais de ces combats et de ces cris il est sdrti quelques œuvres. Le Manuel du Spéculateur, cette terrible satire, déguisée sous un titre si modeste, a remué le monde de Paris ; le livre de M. Oscar de Vallée, les Manieurs d’argent, n’a pu naître sans l’occuper.
J’en reviens pour un instant à M. Proudhon, car il me semble que les financiers ont reçu de son livre un traître coup. — M. Proudhon est avec nous, se disait-on à la Bourse, et c’est un grand financier. — Tarare ! il était avec eux comme le chas-
- ↑ Librairie Hachette, 14, rue Pierre-Sarrazin.
