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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/56

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LE PRÉSENT.

tous les égoïstes. Ce rayonnement bizarre, qui n’est qu’un reflet de la grande passion du Moi, avait seul engagé le bel Onfray dans cette situation périlleuse qu’il n’avait dominée que par sa petite politique, et d’où il ne pouvait plus sortir maintenant que par une trahison. Le monde où il avait vécu l’avait accoutumé à considérer comme de peu de sacrifier l’orgueil d’une femme, et pourtant, à cette heure d’expiation, si, toujours aveuglé par le rayonnement maudit, il ne se repentit pas, du moins il ont peur.

Ce n’était pas qu’il n’eût bien prévu l’inimitié de madame du Songeux. Il avait même poussé la précaution jusqu’à se préparer un campement au dehors du petit château, comme le capitaine d’une place démantelée qui s’assure les moyens de faire retraite aux premières annonces d’un siège. Mais il n’avait compté que sur une disgrâce, la plus éclatante possible, et non sur une insulte ; il voulait être haï, non pas chassé. « Allons, murmura-t-il, je partirai. Aussi bien je l’avais promis à Georges. » Ce premier dénoûment d’une double intrigue qui flattait si fort sa vanité coûtait affreusement au dandy. Cela réveillait d’abord en lui de maussades souvenirs : combien de fois ne lui était-il pas arrivé de partir ainsi plein d’assurance et d’ardeur, et de choir à mi-route ?… Son regard vint cependant à tomber sur les portières neuves dont madame du Songeux avait fait décorer sa chambre dans la précédente matinée, tandis qu’il entrait chez Julie, et il ne se défendit point d’un dernier sourire. Mais presque aussitôt il lui sembla que du fond de cette même chambre, transformée pour lui par des soins si inquiets, la voix d’Anna s’élevait sourde et étouffée d’abord, et puis impétueuse comme un premier bruit de tempête. « Je partirai ! » répéta-t-il. Il se mit en devoir de rassembler lui-même dans un sac de voyage les objets qui lui étaient le plus nécessaires, et, comme il était inhabile à rien faire de ses belles mains, la besogne fut longue ; il s’arrêta d’ailleurs quelque temps à réfléchir sur le ridicule de sa fuite. Minuit sonnait lorsqu’il descendit à pas comptés le grand escalier du château. Le formidable verrou qui défendait la porte du vestibule ne céda point sans bruit. Ce lâche cœur, qui fuyait devant ses propres lâchetés, aurait tué peut-être le domestique qui l’eût surpris dans cette attitude grotesque, un sac de voyage dans une main et sa bourse dans l’autre. On dormait par bonheur dans cette partie du château : il s’élança dans le jardin. Le ciel était pur et la nuit parsemée