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LE SPHYNX.

pris la mesure sur la plate-bande. Le notaire a envoyé ce matin offrir son cheval à monsieur, il le lui prêtera…

— Cours acheter ce cheval ! s’écria le bel Onfray. Me le prêter vraiment ! Quelles mœurs faciles… Tu l’achèteras, entends-tu bien ?

— Et je dirai à ce notaire que monsieur ne le connaît point et n’a rien à faire de ses politesses… Il ne faut point que ces gens-là nous aiment, grommela-t-il en s’en allant.

IX

Arsène était vraiment désappointé, car les clameurs de Laverdie auraient peut-être satisfait ce besoin vulgaire de bruit et d’éclat qu’il portait partout. Plus d’une fois il avait cru les entendre s’élever sur ses pas, il avait espéré la haine des femmes au moins, et voilà que la notaresse s’intéressait à lui. En une heure, à force d’ordres et de contre-ordres, d’impatiences et de gronderies, il eut bouleversé tout Thôtelj malgré les regards suppliants des maritornes : c’est ainsi qu’Apollon, las d’être éternellement beau, trouvait quelquefois sa beauté ridicule et mettait alors tout le Parnasse sens dessus dessous. Au fond le dépit d’Arsène n’était pas si puéril ; le faux Apollon exhalait à sa façon, toujours un peu vaine, il est vrai, tout ce qu’il avait souffert depuis le matin. Mais il n’y avait plus que la forme de sa douleur qui demeurât incertaine ; la blessure était bien profondément faite. Ce mot « l’anniversaire » l’avait atteint comme un coup de stylet. Pourquoi cet abattement de Julie et cette subite envie de tristesse solitaire ? Pourquoi ne lui en avait-elle pas dit simplement la cause ? Arsène s’adressait encore mille horribles questions. Pour un cœur incomplet comme le sien, c’était un trop rude fardeau que cet amour qui l’enchaînait sans lui donner de foi.

François revint monté sur le cheval que le notaire lui avait vendu le double de sa valeur, malgré les cris de la notaresse qui avait traité l’acheteur d’impertinent. Le bel Onfray, qui sortait de la Tour-d’Argent, ne daigna regarder en passant ni le cavalier ni la bête : il est vrai que l’une était presque étique et que l’autre se montrait assez content. Arsène se mit à marcher au hasard. Au beau milieu du bourg, il s’ar-