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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/86

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LE PRÉSENT.

C’était pour M. Veuillot un moyen de reprendre sa vieille lutte contre l’Université ; il manquait d’ailleurs de sujets, sa veine tarissait ; il se décida à cette autre campagne de Rome. Il était d’autant mieux préparé qu’il ne connaissait pas le premier mot des auteurs qu’il allait exterminer. Lui-même fait cet aveu réjouissant dans un de ses articles. Moins on a de bagages, et plus on est leste et propre au combat. Aussi ce fut une belle bataille. M. Veuillot proposa sérieusement d’apprendre à lire aux enfants dans saint Jérôme on dans saint Augustin, de substituer les pères latins et les pères grecs aux auteurs classiques et d’ôter la parole à Cicéron pour la donner à Tertullien. J’admire beaucoup ceux des pères latins ou grecs que j’ai lus, j’aime Tertullien et son éloquence à la Bossuet, mais il faut avouer que de pareilles thèses, soutenues sans rire par un homme qui se croit sérieux, ont de quoi étonner et surprendre. M. Veuillot profita de l’occasion pour distribuer quelques horions sur ces vieux crânes couverts de lauriers. Le triste et doux Virgile fut bousculé, Homère reçut sur les ongles, Horace subit quelques nasardes, quelque autre encore supporta quelques épithètes désagréables comme M. Veuillot sait si bien les trouver ; en fin de compte, il fut désapprouvé par le clergé de France tout entier, et il en fut pour ses frais d’épithètes.

L’influence de M. Veuillot a été grande et funeste. Après les impiétés du dix-huitième siècle, le dix-neuvième plus sérieux, éclairé partes propres maux, ses prbpres dangers et les hasards qu’il avait courus, revenait de lui-même tendre sa tête au joug aimable de la religion. Les poètes chantaient ses grâces et ses grandeurs, les historiens célébraient son passé, l’éloquence des prédicateurs chargeait des chaînes d’une parole d’or les esprits les plus rebelles, et les amenait soumis devant les autels. Les vieux thèmes d’opposition étaient abandonnés, rejetés comme une mode fanée ; déjà il était de bon goût de respecter Dieu, et c’était beaucoup après le dévergondage philosophique de la fin du siècle dernier. L’Univers et M. Veuillot, en qui il se personnifie, ont suspendu ce mouvement. Entre le seuil de l’église et les égarés qui y revenaient, il a fait couler un fleuve d’injures ; beaucoup ont secoué la tête et sont retournés chez eux sans essayer même de le fraîchir. On ne voulait pas être de la religion de M. Veuillot. Je le comprends : de la chaste épouse de Jésus-Christ, l’Église, il faisait une commère ; de la colombe mystique un oiseau effronté, et du mouton