Page:Le Rouge et le Noir.djvu/182

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— C’est la première fois de ma vie, la figure du portier m’avait glacé, ajouta Julien en rougissant comme un enfant.

L’abbé Pirard sourit presque.

— Voilà l’effet des vaines pompes du monde ; vous êtes accoutumé apparemment à des visages riants, véritables théâtres de mensonge. La vérité est austère, monsieur. Mais notre tâche ici-bas n’est-elle pas austère aussi ? Il faudra veiller à ce que votre conscience se tienne en garde contre cette faiblesse : Trop de sensibilité aux vaines grâces de l’extérieur.

— Si vous ne m’étiez pas recommandé, dit l’abbé Pirard en reprenant la langue latine avec un plaisir marqué, si vous ne m’étiez pas recommandé par un homme tel que l’abbé Chélan, je vous parlerais le vain langage de ce monde auquel il paraît que vous êtes trop accoutumé. La bourse entière que vous sollicitez, vous dirais-je, est la chose du monde la plus difficile à obtenir. Mais l’abbé Chélan a mérité bien peu, par cinquante-six ans de travaux apostoliques, s’il ne peut disposer d’une bourse au séminaire.

Après ces mots, l’abbé Pirard recommanda à Julien de n’entrer dans aucune société ou congrégation secrète sans son consentement.

— Je vous en donne ma parole d’honneur, dit Julien avec l’épanouissement de cœur d’un honnête homme.

Le directeur du séminaire sourit pour la première fois.

— Ce mot n’est point de mise ici, lui dit-il, il rappelle trop le vain honneur des gens du monde qui les conduit à tant de fautes, et souvent à des crimes. Vous me devez la sainte obéissance en vertu du paragraphe dix-sept de la bulle Unam ecclesiam de saint Pie V. Je suis votre supérieur ecclésiastique. Dans cette maison, entendre, mon très cher fils, c’est obéir. Combien avez-vous d’argent ?

Nous y voici, se dit Julien, c’était pour cela qu’était le « très cher fils. »

— Trente-cinq francs, mon père.

— Écrivez soigneusement l’emploi de cet argent ; vous aurez à m’en rendre compte.