Page:Le Rouge et le Noir.djvu/183

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Cette pénible séance avait duré trois heures, Julien appela le portier.

— Allez installer Julien Sorel dans la cellule, no 103, dit l’abbé Pirard à cet homme.

Par une grande distinction, il accordait à Julien un logement séparé.

— Portez-y sa malle, ajouta-t-il.

Julien baissa les yeux et reconnut sa malle précisément en face de lui, il la regardait depuis trois heures, et ne l’avait pas reconnue.

En arrivant au no 103, c’était une petite chambrette de huit pieds en carré, au dernier étage de la maison, Julien remarqua qu’elle donnait sur les remparts, et par-delà on apercevait la jolie plaine que le Doubs sépare de la ville.

— Quelle vue charmante ! s’écria Julien ; en se parlant ainsi il ne sentait pas ce qu’exprimaient ces mots. Les sensations si violentes qu’il avait éprouvées depuis le peu de temps qu’il était à Besançon, avaient entièrement épuisé ses forces. Il s’assit près de la fenêtre sur l’unique chaise de bois qui fût dans sa cellule, et tomba aussitôt dans un profond sommeil. Il n’entendit point la cloche du souper, ni celle du salut, on l’avait oublié.

Quand les premiers rayons du soleil le réveillèrent le lendemain matin, il se trouva couché sur le plancher.

XXVI

Le Monde, ou ce qui manque au Riche.

Je suis seul sur la terre, personne ne daigne
penser à moi. Tous ceux que je vois faire fortune
ont une effronterie et une dureté de cœur que je
ne me sens point. Ils me haïssent à cause de
ma bonté facile. Ah ! bientôt je mourrai, soit de
faim, soit du malheur de voir les hommes si
durs.
Young.

Il se hâta de brosser son habit et de descendre, il était en re-