Page:Le Rouge et le Noir.djvu/424

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’orgueil fou de douleur, repoussées par un domestique de mon père.

C’est ce que je ne souffrirai pas, dit-elle à haute voix.

Et, se levant avec fureur, elle ouvrit le tiroir de la table de Julien placée à deux pas devant elle. Elle resta comme glacée d’horreur en y voyant huit ou dix lettres non ouvertes, semblables en tout à celle que le portier venait de monter. Sur toutes les adresses, elle reconnaissait l’écriture de Julien, plus ou moins contrefaite.

— Ainsi, s’écria-t-elle hors d’elle-même, non seulement vous êtes bien avec elle, mais encore vous la méprisez. Vous, un homme de rien, mépriser madame la maréchale de Fervaques !

Ah ! pardon, mon ami, ajouta-t-elle en se jetant à ses genoux, méprise-moi si tu veux, mais aime-moi, je ne puis plus vivre privée de ton amour. Et elle tomba tout à fait évanouie.

La voilà donc, cette orgueilleuse, à mes pieds ! se dit Julien.

LX

Une Loge aux Bouffes.

As the blackest sky
Foretells the heaviest tempest.
Don Juan, c. I, st. 76.

Au milieu de tous ces grands mouvements, Julien était plus étonné qu’heureux. Les injures de Mathilde lui montraient combien la politique russe était sage. « Peu parler, peu agir », voilà mon unique moyen de salut.

Il releva Mathilde, et sans mot dire la replaça sur le divan. Peu à peu les larmes la gagnèrent.

Pour se donner une contenance, elle prit dans ses mains les lettres de madame de Fervaques ; elle les décachetait lentement. Elle eut un mouvement nerveux bien marqué quand elle reconnut l’écriture de la maréchale. Elle tournait sans les lire les feuilles de ces lettres ; la plupart avaient six pages.

— Répondez-moi, du moins, dit enfin Mathilde du ton de