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prit pour être nationaliste. Mais il était limité par le territoire dit national. Il ne pouvait pas avoir à cette époque l’idée de la solidarité internationale. Charles Fourier a le pressentiment de la solidarité internationale, mais c’est un simple pressentiment qui n’a pas encore une forme précise et claire. Il ne pouvait pas également, à cette époque de la période du socialisme utopique, être question de l’organisation d’un parti. Ce n’était pas aux partis organisés que les socialistes de la période utopique s’adressaient. C’étaient les débuts de la société capitaliste. Le prolétariat était encore dans son enfance. II n’y avait pas encore possibilité de parler d’une classe ouvrière ou d’un prolétariat conscient et organisé. D’ailleurs, la méthode même des socialistes utopiques était une méthode individualiste. Chacun se considérait comme un inventeur d’un nouveau système, tandis que le socialisme moderne se vante au contraire de n’avoir rien inventé, de se baser seulement sur ce qui existe.

Ce qui distingue le socialisme moderne du socialisme utopiste, c’est qu’il ne se base pas sur le plan d’un gémie, sur la volonté de tel ou tel individu ou même de plusieurs. Le socialisme moderne considère l’idéal socialiste comme l’aboutissant de l’évolution historique des forces sociales, économiques, politiques, morales actuelles qui ont aussi agi dans le cours des siècles passés, qui agissent actuellement dans certaines directions et qui, en se développant, aboutissent à des réalisations communistes. C’était déjà en ébauche dans Saint-Simon, quand Saint-Simon déclarait que l’idéal de la réforme sociale doit se baser sur l’étude du passé, sur l’étude de l’histoire, que l’avenir doit être le résultat des forces du passé, de l’évolution du passé, aussi bien que des forces du présent. Ainsi, Saint-Simon a-t-il posé les premiers jalons du socialisme moderne.

Les socialistes modernes ne disent pas que le socialisme se réalisera parce que le socialisme est excellent, parce que le socialisme est bon, parce que le socialisme est juste. C’est peut-être la raison pour qu’il ne se réalise pas, parce qu’il est trop bon, parce qu’il est trop juste, étant donné les conditions actuelles. Non ! Ils disent que le socialisme, préparé dans le développement historique, se prépare dans la société capitaliste actuelle. Ils distinguent une série de conditions dans la société actuelle, conditions techniques et conditions humaines.

La société actuelle élabore tout un arsenal d’instruments de production employés à l’œuvre collective. Le travail moderne n’est pas le travail des artisans du moyen âge, où chacun travaillait à domicile pour un certain nombre de clients qu’il connaissait personnellement. L’industrie moderne est une industrie de masse qui travaille pour le marché mondial à l’aide des années de prolétaires, avec un système de division du travail remarquable où l’on ne peut pas distinguer la part de chaque ouvrier. C’est un travail collectif. Et en face du travail immense de cette industrie collective moderne, nous voyons cette contradiction que le travail étant collectif, le profit reste cependant individuel. De cette contradiction fondamentale de la société actuelle — travail collectif et exploitation individuelle — sort inévitablement, chaque jour plus vive, la lutte entre les travailleurs collectifs et les exploiteurs individuels, entre les prolétaires et les capitalistes. Et le