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drons quand nous parlerons des écoles socialistes, des théoriciens socialistes.

Deuxième confusion : On confond souvent le socialisme avec l’interventionnisme. Chaque fois que l’Etat, le représentant légal de la Société ou la Société elle-même, intervient pour régler les rapports de la propriété, pour régler ses conditions, on déclare que c’est du socialisme. Dans ce sens, un ministre anglais, William Harcourt, a déclaré, en 1888 : « Nous sommes, aujourd’hui, tous socialistes ». Il voulait dire par là : « Nous avons abandonné la doctrine du laissez-faire, laissez-passer », cette doctrine du libéralisme qui croyait à l’harmonie des intérêts, qui était convaincue que des efforts individuels, de la liberté totale, dans la Société actuelle, sortirait l’harmonie universelle, le bonheur universel. Cette doctrine a fait faillite. Les bourgeois eux-mêmes sont obligés d’en convenir, c’est pourquoi ils abandonnent cette doctrine du « laisse-faire, laissez-passer », qui, d’ailleurs, dans les textes primitifs du XVIIIe siècle, avait un autre sens. Ou oublie d’ajouter un mot caractéristique : ce n’était pas « laissez-faire, laissez-passer », mais « laissez-nous faire ». La bourgeoisie réclamait la liberté totale du commerce, de l’exploitation, et elle cherchait à se persuader, et surtout à persuader les autres, que de sa liberté, de son exploitation, de sa domination, sortirait le bonheur universel. Voilà pourquoi on confond l’interventionnisme avec le socialisme.

Troisième confusion : Le socialisme est souvent confondu avec le réformisme. On croit que si on se prononce pour telle ou telle amélioration partielle, telle ou telle réforme sociale, on est socialiste. Je ne parle même pas des philanthropes qui, s’ils renoncent à une minime parcelle de leur colossale fortune, fondent quelques hôpitaux ou font quelques aumônes, croient qu’ils sont socialistes, et le disent. Je parle de cette catégorie, plus vaste, qui attribue à toute amélioration sociale, à toute législation ouvrière, en conservant la base même de la Société actuelle, un caractère socialiste. Je vous démontrerai que ce n’est pas cela le socialisme.

En effet, il n’y a pas, maintenant, un parti politique sérieux qui ne soit pas partisan des améliorations partielles. Tout le monde est pour les réformes ouvrières, sociales, les uns pour conserver et pour consolider la société actuelle, les autres par philanthropie ou par charité, les autres encore pour éviter une révolution violente. Mais on ne peut pas vraiment, sans abuser des termes et sans frapper les faits mêmes, le fond même des choses, on ne peut pas considérer ces réformateurs sociaux comme des socialistes, à quelque parti qu’ils appartiennent.

Pour définir le socialisme d’une façon précise, après avoir exposé comment il ne faut pas comprendre le socialisme, il faut d’abord dire que le socialisme s’oppose avant tout comme doctrine et comme fait à l’individualisme. Le mot socialisme vient du mot latin socius, qui veut dire « compagnon », « camarade ». Il a été employé pour la première fois — autant qu’on peut parler de l’origine des choses, toute constatation des origines n’est que provisoire, parce qu’après recherches, on est obligé de reporter plus loin les origines — il a été employé pour la première fois par Robert Owen, en 1837. Nous trouvons, pour la seconde fois, ce mot en France ; dans Pierre Leroux, en 1838.