Page:Le Socialisme I. Socialisme utopique et socialisme scientifique - Charles RAPPOPORT.pdf/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espérait toute l’école économique libérale, sortira le bonheur social, le bonheur universel.

J’oppose à cette conception individualiste, exprimée avec toutes ses conséquences, la conception communiste ou collectiviste de Guesde, du Guesde d’après la Commune, de 1878. Voilà comment Guesde s’exprime sur le rôle de l’homme dans la Société dans son Catéchisme socialiste ;

« L’homme ne peut être homme, c’est-à-dire remplir la loi de sa nature éminemment progressive, que sous l’action, avec l’aide de ses semblables, dans leur société. Isolé, individuellement, il ne lui est pas possible de satisfaire ses besoins et de développer ses facultés au delà d’une limite très restreinte. Dépossédé de la parole qui n’a aucune raison, aucun moyen de sortir du cri, il n’est pas même prouvé qu’il prenne la position verticale. Quelque activité d’autre part que développe chez lui le besoin, ses seules forces ne lui permettent pas d’autre habitation que les grottes naturelles, d’autre vêtement que le feuillage adamique ou la peau de bête de l’âge de pierre. C’est le plus misérable des animaux. Les autres individus des autres espèces, au contraire, ne sont pas diminués par l’isolement qui, loin de nuire à la satisfaction de leurs besoins, le rend plus complet et plus facile. Et de même qu’il leur est possible de pourvoir à toutes les exigences de leur organisme sans le concours de leurs congénères, ils peuvent atteindre leur maximum de développement individuellement, sous le seul empire de la nécessité. L’état social ou collectif en un mot est l’état naturel, nécessaire et constitutif de l’espèce humaine, comme l’état individuel est l’état normal des autres espèces. »

En effet, même la parole — et vous savez que la langue est, pour toute nouvelle génération, un trésor et un immense héritage d’intelligence et d’expérience — je dis même la parole n’est que le produit de la vie sociale. On cite, dans l’anthropologie, l’exemple d’un certain Caspar Heyser qui, en Allemagne, pendant trente ou quarante ans a été séquestré. Il paraît qu’il s’agissait de l’empêcher de monter sur un des innombrables trônes d’Allemagne d’alors. Cet homme était complètement idiot. Il ne savait pas parler, ne comprenait rien de ce qui se passait autour de lui. La vie sociale est donc créatrice de l’homme. Elle est nécessaire à son développement, comme à son bonheur. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette idée fondamentale du socialisme.

Voilà le premier point de la conception socialiste ou collectiviste ou communiste s’opposant à la doctrine individualiste qui est à la base même du régime du chacun pour soi, du régime actuel.

Le socialisme, on communisme, peut être défini aussi comme but final d’une action, de l’action collective d’un parti ou d’une classe. Le but final de l’action communiste, de l’action socialiste, est la mise en commun des instruments de travail, la mise à la disposition de tous les producteurs du sol, du sous-sol, des usines et de tous les instruments de travail et de production. Quand nous envisagerons les nuances des mots socialiste, collectiviste et communiste, nous aurons à parler également de la distribution des produits et de la consommation. Mais ce qui est la base même du communisme moderne, c’est la socialisation, c’est-à-dire la mise en commun, la mise à la disposition de