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« Tout Etat est évidemment une association, et comme le lien de toute association, c’est l’intérêt, les hommes ne faisant jamais rien qu’en vue de leur avantage personnel, il est clair que toutes les associations visent à satisfaire des intérêts. — Voyez, c’est une idée tout à fait moderne, disons même marxiste ; la société n’est pas basée, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, sur le contrat, la convention ; la société est basée sur les intérêts ; Marx définit ces intérêts ; il dit : les intérêts de la production.

Aristote continue : Les plus importants de tous doivent être l’objet de la plus importante des associations, de celle qui renferme tous les autres ; et celle-là, on la nomme précisément Etat et association politique.

Ce qui distingue cette conception aristotélienne de la société de notre conception du socialisme moderne, c’est que pour Marx et pour nous, la société est un produit historique, et elle se développe dans le temps, tandis que pour Aristote, comme pour notre science bourgeoise officielle, l’organisation de la société actuelle avec des inégalités, est le produit de la nature ; et, comme tout produit de la nature, il doit être éternel.

Aristote dit : La nature a déterminé la condition spéciale de la femme et de l’esclave.

C’est l’argument que les ignorants répètent en parlant du communisme, de la transformation sociale. Ils disent : la misère est éternelle, les inégalités sont éternelles, la société actuelle est éternelle, parce que ce n’est pas une loi sociale, c’est une loi naturelle, et celle-ci ne change pas.

Aristote cite un poète : « Oui, le Grec au Barbare a le droit de commander », et les barbares étaient tous ceux qui n’étaient pas grecs. « L’Etat, dit encore Aristote, vient de la nature » ; « l’Etat est un fait de nature » ; « l’homme est un animal politique » ; « Celui qui ne peut vivre en société… est une brute ou un dieu ». C’est une pensée rigoureusement exacte : Il faut être une brute ou il faut être ce qu’on croit Dieu pour pouvoir se passer des autres hommes.

Et voilà pourquoi il considérait que l’esclavage est éternel. Il est éternel, disait-il, parce que pour que les uns aient des loisirs, il faut que les autres accomplissent toutes les besognes sordides, tout le travail obscur, afin qu’une petite minorité puisse être scientifiquement éclairée et puisse avoir le goût de la beauté.

Mais tout de même, malgré les préjugés de son temps, malgré sa conception des classes, il avait le pressentiment d’une autre possibilité. En parlant de l’ouvrier — ou de l’artisan comme on disait alors — Aristote disait :

« L’ouvrier est considéré comme « un instrument vivant », ainsi que l’esclave ». Mais, ajoute Aristote ; « Si chaque instrument pouvait sur un ordre donné, ou même pressenti, travailler de lui--