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que nous y trouverons nos vieilles connaissances, les arguments que tous les journalistes bourgeois, tous les académiciens et tous les pipelets du monde entier répètent sur la nature humaine.

Voilà ce qu’écrit Morelly : « Ecoutez-les tous, ils vous poseront pour principe incontestable et pour base de tous leurs systèmes, cette importante proposition ; l’homme naît vicieux et méchant. Non, disent quelques-uns, mais la situation où il se trouve dans cette vie, la constitution même de son être l’expose inévitablement à devenir pervers. » Morelly oppose, à cette conception métaphysique de la nature humaine foncièrement méchante et vicieuse, cette idée fondamentale moderne que ce n’est pas l’homme qui décide de sa nature, ce sont les institutions, les conditions de la vie, le milieu dans lequel l’homme évolue. Il se posait comme problème : Trouver une situation dans laquelle il soit impossible à l’homme d’être dépravé ou méchant, ou le moins méchant possible.

« Quelle est la véritable source, demande Morelly, de tous les vices, de toutes les perversions, de la méchanceté ? » En les expliquant, il trouvait cette source dans l’amour-propre, dans le désir de posséder. Et il disait — c’était déjà l’influence de la philosophie moderne anglaise : « Il n’y a pas des idées innées, comme il n’y a pas des vices innés. »

Qu’est-ce que cela veut dire ? Des métaphysiciens sont convaincus que l’homme naît avec, dans son cerveau, des idées gravées pour ainsi dire avant sa naissance ou avec sa naissance. La philosophie moderne nie cela. Il n’y a pas des idées innées.

Se basant sur cette philosophie moderne, Morelly déclarait : « De même qu’il n’existe pas des idées innées, il n’existe pas des vices avec lesquels nous sommes nés. » Le cerveau est une sorte de tableau sur lequel il n’y a rien d’écrit, sauf les facultés, sauf les dispositions. La nature humaine est un papier blanc sur lequel la vie elle-même écrit ce qu’elle veut écrire.

« Au contraire, déclarait Morelly, en concordance avec la réalité, comme la nature nous a dotés des qualités qui nous disposent à la vie sociale, à la solidarité sociale, nous avons des penchants moraux, des penchants sociaux ; nous ne pouvons rien faire dans l’isolement. Nous avons des besoins que nous ne pouvons satisfaire que par le travail. » Morelly ne connaissait pas encore le travail moderne, le travail collectif. Il ignorait encore le machinisme, les grandes usines, les grandes fabriques où on touche, pour ainsi dire du doigt, la collaboration des hommes, la