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ritualisme qui fait le fond de l’éducation et de la vie chrétienne, que celle de l’homme des champs…

« Quel plaisir autrefois de me rouler dans les hautes herbes, que j’aurais voulu brouter, comme mes vaches ; de courir pieds nus sur les sentiers unis, le long des haies ; d’enfoncer mes jambes, en rechaussant (rebinant) les verts turquis, dans la terre profonde et fraîche ! Plus d’une fois, par les chaudes matinées de juin, il m’est arrivé de quitter mes habits et de prendre sur la pelouse un bain de rosée.

« Que dites-vous de cette existence crottée. Monseigneur ? Elle fait de médiocres chrétiens, je vous assure. A peine si je distinguais le moi des non-moi… L’idée de ma personne se confondait dans ma tête avec celle de mon bien-être, et je n’avais garde d’aller chercher là-dessous la substance inétendue et immatérielle. Tout le jour, je me remplissais de mûres, de raiponces, de salsifis des prés, de pois verts, de graines de pavots, d’épis de maïs grillés, de baies de toutes sortes, lambrusques, fruits sauvages ; je me gorgeais d’une masse de crudités à faire crever un petit bourgeois élevé gentiment, et qui ne produisaient d’autre effet sur mon estomac que de me donner le soir un formidable appétit. L’aime nature ne fait mal à ceux qui lui appartiennent…

« Que d’ondées j’ai essuyées ! Que de fois, trempé jusqu’aux os, j’ai séché mes habits sur mon corps, à la bise ou au soleil ! Que de bains pris à toute heure, l’été dans la rivière, l’hiver dans les sources ! Je grimpais sur les arbres ; je me fourrais dans les cavernes ; j’attrapais les grenouilles à la course, les écrevisses dans leurs trous, au risque de rencontrer une affreuse salamandre ; puis, je faisais sans désemparer griller ma chasse sur les charbons…

« … Aussi, comme je pleurais en lisant les adieux de Philoctète si bien traduits de Sophocle par Fénelon : « Adieu cher antre ! Adieu nymphes des prés humides ! Je n’entendrai plus le bruit sourd des vagues de cette mer. Adieu, rivage où tant de fois j’ai souffert des injures de l’air ! Adieu, promontoire, où l’écho répéta tant de fois mes gémissements ! Adieu, douces fontaines, qui me fûtes si amères ! Adieu, ô terre de Lemnos ! laisse-moi partir heureusement,