Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 1.pdf/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nèbres. J’avais une soif ardente ; j’étais en lambeaux ; mes mains, mon visage ensanglantés étaient couverts d’échauboulures causées par les orties. Me sentant si faible, je ne pouvais imaginer que la douce lumière me fût rendue. Ma soif était telle, que l’air ne suffisait pas à rafraîchir ma gorge desséchée. Je tentais avec avidité d’avaler une salive que je n’avais plus. Enfin, lorsque j’eus retrouvé quelque assurance et pris courage, la poitrine enflammée par mes continuels soupirs, par l’anxiété de mon âme et les fatigues de mon corps, je résolus, n’importe comment, d’assouvir ma soif ardente. Aussi explorai-je attentivement les plaines pour voir si je n’y trouverais pas de l’eau. J’étais à bout de recherches lorsque, par bonheur, s’offrit à ma vue une source délicieuse qui surgissait en une large veine d’eau vive. En cet endroit poussaient des acores marécageux, la barbarée, la lysimachie en fleurs et l’angélique musquée. De cette source naissait un cours d’eau transparent qui, s’écoulant en babillant dans son lit tortueux à travers la forêt, allait s’élargissant toujours par l’apport de canaux divers. Les ondes sonores et rapides sautaient en se heurtant contre les pierres et les troncs brisés ; elles se gonflaient considérablement par les torrents impétueux et bruyants que la fonte des neiges Alpestres faisait ruisseler sur le versant glacé des monts peu reculés dans le froid miracle de Pan. J’avais atteint là plus d’une fois dans ma fuite épouvantée. J’y trouvai la lumière quelque peu obscurcie par les grands arbres dont les cimes s’écartaient au-dessus du fleuve limoneux et laissaient paraître le ciel qui semblait déchiré par l’entrecroisement des rameaux feuillus. C’était un endroit effrayant pour un homme seul, impossible à traverser. Les rives opposées paraissaient encore plus sombres et plus impraticables. J’étais épouvanté d’entendre la