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Page:Le Songe de Poliphile - trad. Popelin - tome 1.pdf/270

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créquiers épineux. Parmi ces plantes, sur ces murailles couvertes de végétations, rampaient certains lézards qui, souvent, en ces lieux déserts et silencieux, venaient, d’un premier mouvement, jusqu’à moi, ce dont je demeurais tout saisi et en grande peur. Il y avait là de larges cylindres à demi frustes, en serpentin[1] et en porphyre de couleur de corail et d’autres tons fort agréables. On y trouvait des fragments divers historiés, en taille ou en demi-taille, des morceaux de sculpture en ronde bosse ou en bas-relief, le tout témoignant d’une excellence telle, que, sans manquer à notre époque et sans la déprécier, on peut dire que la perfection d’un tel art s’est totalement évanouie. M’étant donc avancé jusque vers le milieu du front de ce superbe édifice, j’aperçus une porte entière, magnifique et considérable, proportionnée à tout l’édifice. Quant à la façade de la construction, je vis qu’elle s’étendait d’une montagne à l’autre, interposée entre leurs sections à pic, et je pus conjecturer à vue d’œil que sa dimension atteignait six stades[2] plus vingt pas. Ces montagnes étaient taillées perpendiculairement de la cime jusqu’au sol. Aussi je me demandais avec quels instruments de fer, avec quel emploi et quelle quantité de mains d’hommes une si grande entreprise avait pu être conduite à bien, sans compter ce qu’il avait fallu de temps et de persévérance.

Ainsi donc ce surprenant édifice adhérait à l’un et à l’autre mont, formant une telle clôture qu’on ne pouvait pénétrer dans le vallon ou en sortir qu’en passant par la haute porte mentionnée ci-dessus. Or, en cette œuvre immense qui, dans toute sa hauteur, depuis son couronnement jusqu’à sa base, pouvait mesurer cinq

  1. Ophites, Όφίτις, Pline, 36. Le porphyre serpentin est l’ophite par excellence.
  2. Le stade équivaut à 180 mètres.