Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/249

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 5i Phœbé couvre d'une teinte rose l'immense linceul hivernal : on y voit comme en plein jour. Le croquis d'intérieur est généralement le même; auprès de l'àtre où les sarments pétillent, la famille est réunie : grand-papa, grand'maman, jeunes époux, petits enfants... Médor et Minet complètent le demi-cercle et dorment côte à côte. Les anciens président et débitent tour à tour les fredaines de leur jeune temps, des récits de combats, voire des contes de fées : on les écoute attentivement, tantôt avec des rires, tantôt avec des larmes, pendant que les grosses cloches vibrent au loin à toute volée. Ah ! comme ils vont aller se mettre au lit joyeux, et leur jeune cerveau bourré de songes, tous ces gracieux bébés! car ils ont caché sous la cheminée leurs mignons souliers vernis ou bien cirés, afin qu'ils ne déplaisent point au petit Jésus !... Quel precieux cadeau va-t-il leur faire ? — Croquemitaines ou poupées? Gâteaux ou pralines? Quelle nuit dorée !... Cette touchante et naïve coutume me remet à l'esprit un fait charmant que ma plume inhabile va essayer d'écrire : Il y a quatorze ou quinze ans de cela; c'était au lendemain des jours de souffrances et de deuils, j'allais, pour la Noël, rendre visite à un de mes amis, et je fus assez surpris, en entrant chez lui, de trouver son bébé — sage d'habitude — tout rouge de colère, les yeux gros, les cheveux ébouriffés !... — Qu'as-tu, Emile? lui dis-je. C'est bien joli de bouder et de se fâcher de la sorte!... Allons, explique-moi la cause de ta profonde douleur? . . . Après avoir hésité quelque peu et poussé de nombreux soupirs, il m'avoua enfin, en pleurant : — Ah! Monsieur, je ne sais le mal que j'ai pu faire à l'Enfant Jésus; mais il n'a pas été sage pour moi! J'avais placé, hier soir, mes pantoufles sous la grande cheminée du salon, elles étaient bien jolies, très propres; je les avais entourées de rubans et, ce matin, j'ai trouvé dedans de vilains Prussiens avec leurs canons!... Venez les voir, et me prenant parla main, il me con duisit dans un coin de la chambre, où gisaient épars quinze ou vingt bonshommes de plomb : les uns, les jambes cassées ; les autres, sans tête ni bras... et Emile se remit à les piétiner !... En regardant d'un peu plus près les victimes de cette fureur d'enfant, je m'aperçus que les jouets, pris par le bébé pour des soldats germains, n'étaient autres que des pompiers avec leurs appareils à incendie ! L'enfant se rappelait, sans doute, que sur quelque image d'Epi- nal, on lui avait montré des militaires allemands, avec leurs