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THÉÂTRE DE LA RÉVOLUTION

ROBESPIERRE.

La viande se fait rare ; il faut la garder aux soldats et aux malades. Nous avons décrété un carême civique. C’est à moi et à mes collègues de donner l’exemple de l’abstinence.

MADAME DUPLAY.

Tous n’ont pas tes scrupules.

ROBESPIERRE.

Je le sais ; j’ai vu certains d’entre eux festoyer, dans la misère publique : cela me fait horreur. Chacun de ces repas vole à la patrie la force d’une trentaine de ses défenseurs.

MADAME DUPLAY.

Quelle misère ! plus de viande, plus de volailles, plus de laitage. Les légumes sont accaparés par l’armée. Avec cela, on ne peut plus se chauffer. C’est la seconde nuit que Duplay attend son tour au bateau de charbon ; il vient de rentrer, les mains vides. Quant au bois, il n’y faut pas penser. Sais-tu quel prix on m’en a fait la corde ? — Quatre cents francs ! — Heureusement, voici le printemps. Un mois de plus, et nous y restions tous. Je n’ai pas souvenir, depuis que je vis, d’un hiver aussi dur.

ROBESPIERRE.

Oui, tu as souffert, vous avez toutes souffert, pauvres femmes, et avec quel courage ! Mais conviens que malgré toutes ces peines, vous avez connu aussi des joies que vous ignoriez : la joie de concourir, tous, du plus petit au plus grand, à l’œuvre sublime : la liberté du monde !

MADAME DUPLAY.

Certes, je suis heureuse. Quelque chose qui vienne maintenant, ce temps de misère restera le meilleur de notre vie : ce ne sont pas des souffrances ordinaires, absurdes, qui ne servent à rien. Chacun de nos jeûnes enrichit la nation. Quelle fierté nous te devons, Maximilien ! Hier soir je pensais, en faisant la lessive : si petite bourgeoise que je sois, si peu sûre du lendemain et si lasse de recommencer chaque