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LES LITANIES DU VICE.

À la Paresse



Paresse ! vierge douce au long manteau d’hermine,
Princesse du Silence, inféconde androgyne
Qui ne connus jamais que les caresses d’or
Des brumes, de la lune et de la pâle mort ;

Endors-nous dans tes bras voluptueux et calmes
Pleins du frémissement des lauriers et des palmes.

Paresse ! blanc séjour qui donne l’avant-goût
Suave du néant, graal du saint-dégoùt,
Mer reposante et consolante et balsamique,
Syrène ensorcelleuse au geste magnétique ;

Verse les lents poisons, les lointaines senteurs
Dans nos esprits bercés par tes flots enlaceurs.

Douce avorteuse des enfantements de l’âme.
Vestale des parfums, fée au divin dictame
Fait de songe et d’amour, déesse du sommeil
Que jamais ne souilla le baiser du soleil ;

Voile d’un calme et doux oubli la vie amère
Que d’égoïstes luxurieux nous infligèrent.

Ta lèvre d’or guérit les stigmates brûlants
De la luxure et de l’envie, et tes doigts blancs
Alanguissent soudain les poses orgueilleuses
Et calment la colère aux ondes ténébreuses ;

Mère des Arts, du Rêve et des Vertus ingrates.
Loin des crimes endors nos âmes scélérates.

Douce Paresse ! calmeuse des vains efforts,
Verseuse des sommeils et des passives morts,
Ô mère, endors-nous loin des travaux inutiles
Dans la riche splendeur de tes hanches stériles.
Pour proscrire à jamais les mortels avenirs
Exacerbe l’ardeur des inféconds désirs
Au giron maternel qu’un sperme indigne arrose.
Et dans les jeunes corps insuffle la névrose.
Verse-nous la morphine en plongeant nos cœurs sourds
Parmi la pourpre, l’or, la soie et les velours ;
Laisse neiger sans fin de tes mains parfumées
L’enivrant népenthès des ivresses damnées,
Berce-nous dans le rêve évoqué des échos
Des harpes de cristal qui vibrent sous les flots.
Étends, étends sur nous un linceul de lumière.
Étends le doux silence et l’embaumant mystère,
Et sur les grands lacs bleus ou les glaciers rosés
Qu’effleurent les baisers des couchants irisés
Nous glisserons, charmés, vers les rives lointaines.
Étends sur nous tes nuits lascives et sereines
Et vers les beaux enfers et les gouffres sans fonds
Nous laisserons errer nos pensers inféconds.

Plus d’éperons, plus de cuirasses fulgurantes.
Plus de lourds casques d’or ; loin des rudes tourmentes,
Nous venons à ta source en pèlerins maudits
Foulant les vains espoirs et les vouloirs proscrits ;
Nous venons à ta source embaumante et mortelle,
Doux léthé de lumière ou l’extase ruisselle,
Cascade de joyaux, lac aux tendres reflets
Où filtre un souvenir embrumé de palais,
Engloutis-nous aux bras des flammes enlacées,
Dans le rayonnement des chimères passées.
Et nous redescendrons, enfin ! au cher néant
En savourant la mort parmi ton sein géant.

Maurice Boue de Villiers.


Le Crime d’une Foule



Opaque et lourd, comme un cauchemar d’ivrogne, le brouillard stagne sur la ville assoupie. La ville est vieille : ses maisons s’ébrèchent comme des dents et ses marbres s’effritent ainsi que des os sans moelle. Ses habitants flambent, comme des démons, aux vices des grandes décadences. Elle a des mœurs de Messaline lasse dont la luxure se tord au châtiment de l’insatiable décrépitude : elle veut de plus étreignants baisers que ceux qui la foulèrent, vagissante de plaisir, dans la pourpre et dans la boue ; et désormais cent bouches collées à elle, cent bras l’encerclant, comme des tentacules de volupté, la laissent indifférente et morne, le regard dur vers ce qu’elle rêve.

Elle aime les fêtes du sang, l’équivoque des spasmes douloureux et des plaies lascives qui baillent, qui sont rouges comme des sexes malades ; elle ne vibre qu’à l’archet des grandes souffrances, à l’orchestre d’épouvante des chairs déchirées, des os broyés et des bouches en bêlement d’agonie. Elle a des ongles qui fouillent les blessures et ses narines s’y grisent de parfums fades, comme les chiens à la curée. Endormie, ses songes houlent encore aux stupres sanglants et si – cruelle – elle n’était lâche, elle se mordrait les chairs et s’ouvrirait les veines, pour trouver en elle-même la volupté par ce formidable onanisme.

Seuls intacts parmi les édifices ruinés, s’érigent, mamelles de voluptueux éréthisme, les dômes des cirques, où la Messaline connaît encore les pâmoisons du bonheur. C’est l’aube… la brume trame le Remords de la nuit qui meurt et qui fut, ainsi que les autres, pleine de cris et de giclements pourpres, parmi les torches.

Subitement une voix claironne la vague annonce d’une débâcle. Le crieur ne s’aperçoit pas en l’opacité du brouillard et son cri s’en intensifie d’une fatalité