Page:Le Tombeau de Théophile Gautier, 1873.djvu/22

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Le vent qui t’emporta doucement me soulève,
Et je vais suivre ceux qui m’aimaient, moi banni.
Leur œil fixe m’attire au fond de l’infini.
J’y cours. Ne fermez pas la porte funéraire.

Passons, car c’est la loi ; nul ne peut s’y soustraire ;
Tout penche ; et ce grand siècle avec tous ses rayons
Entre en cette ombre immense où, pâles, nous fuyons.
Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
Les chevaux de la Mort se mettent à hennir,
Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir ;
Ce siècle altier qui sut dompter le vent contraire
Expire… — Ô Gautier, toi, leur égal et leur frère,
Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset.
L’onde antique est tarie où l’on rajeunissait ;
Comme il n’est plus de Styx il n’est plus de Jouvence.
Le dur faucheur avec sa large lame avance
Pensif et pas à pas vers le reste du blé ;
C’est mon tour ; et la nuit emplit mon œil troublé
Qui, devinant, hélas, l’avenir des colombes.
Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes.


VICTOR HUGO.


Hauteville-house, nov. 1872. Jour des Morts.