Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 06.djvu/581

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indien de Caughnawaga, puis nous passons sous le grand pont de fer du C. P. R., qui a beaucoup d’analogie avec celui de Niagara. Le navire vogue alors dans le milieu du fleuve dont la vitesse accélérée indique la proximité des fameux rapides de Lachine qui apparaissent bientôt à un tournant : ce sont les plus dangereux de tout le parcours et les sauter est une expérience des plus émouvantes que peuvent seuls comprendre ceux qui l’ont tentée : vous avez devant vous une barre écumante qui se précipite sur une pente s’étendant aussi loin que le regard peut la suivre ; un silence absolu se fait sur le pont du vaisseau et les cœurs se : serrent légèrement dans l’attente de ce dangereux pas à la vue des brisants qui reluisent entre les vagues. Ce saut exige du pilote des nerfs très calmes, une précision mathématique et une force très grande pour maîtriser le gouvernail ; d’instinct, on se tourne vers la passerelle où quatre hommes sont employés à maintenir la roue dans la bonne direction ; on se sent alors ému par un indéfinissable mélange de crainte et de plaisir.

Le vaisseau, qui fait bande à tribord, s’enfonce, pour ainsi dire « le nez dans la plume », en une ornière de rochers noirâtres hérissés d’écume ; la tempête, en cet endroit, est à son paroxysme, l’eau fait rage autour de lui ; à chaque instant, on dirait qu’il va disparaître dans quelque gueule effrayante dont les dents pointues semblent déjà râcler ses flancs. À ce moment, la machine est presque complètement arrêtée et la seule force du courant chasse le navire, tout penché, à une vitesse de vingt milles à l’heure, puis, tout à coup, il se redresse, et comme au jour de son lancement, tombe à la surface des eaux tranquilles. On pousse alors un soupir de soulagement en songeant au danger réel laissé derrière soi. Hâtons-nous d’ajouter que, grâce au pilote et à toutes les précautions prises, il n’est jamais survenu d’accidents sérieux. Ces rapides peuvent aussi se sauter en canot sous la conduite des Iroquois de Caughnawaga dont l’habileté dans ce genre de sport, est consommée ; pendant la dernière expédition d’Égypte, les Anglais en employèrent quelques centaines à la navigation du Nil. Nous arrivons ensuite devant le fameux pont Victoria, une des merveilles du Nouveau Monde, l’un des plus gigantesques ouvrages d’art du siècle : il met Montréal en communication avec la rive Sud du Saint-Laurent par le chemin de fer du Grand Tronc ; c’est ainsi que, grâce au pont du C. P. R. que nous avons rencontré à Lachine, deux voies ferrées partant de l’île traversent le fleuve. Le pont Victoria est construit en fer d’après le principe tubulaire ; il a 24 piles de maçonnerie sur une longueur de 2 milles ; le tube à travers lequel le train passe mesure environ ? 2 pieds de haut sur 16 de large ; son aspect puissant et massif contraste avec le pont du C. P. R. qui, plus récent, est plus léger et de structure plus aérienne. Après avoir franchi cette arche colossale, nous atteignons enfin le terme de notre voyage, en pleine vue de Montréal, avec son havre encombré, ses flèches, ses églises, ses dômes, ses coupoles, ses édifices publics, ses parcs, et dominant tout ce panorama, le Mont-Royal dressant sa tête verte.


Gaston du Boscq de Beaumont.


VILLAGE IROQUOIS DE CAUGHNAWAGA. (PAGE 568.)
LIGNE DE LA COMPAGNIE DE NAVIGATION « RICHELIEU ET ONTARIO ». — DESSIN DE BOUDIER.