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l’ensemble de la propriété, s’élèvent au sommet d’une colline, a été bâti du xiie au xive siècle. Le corps de logis principal, de style gothique, est flanqué de tours et d’une tourelle en poivrière servant de cage à l’escalier. Une tour séparée, construite en 1671, par les soins de l’abbé de Coulanges, dit le Bien-Bon, a été aménagée en chapelle : la première messe y fut dite, quatre ans après son achèvement, en décembre 1675.

L’illusion du séjour de Mme  de Sévigné a été conservée, par l’extérieur du château d’abord, par la chapelle, par les jardins, par la chambre de la marquise, ensuite. Une femme de service est le guide des visiteurs, elle sait la place et la destination de chaque objet, l’emploi de tous les moments de la journée de la châtelaine, l’heure à laquelle elle se levait, selon le jour de la semaine et la saison. Elle indique ses endroits préférés, suit le chemin qu’elle parcourait pour aller s’appuyer à la balustrade de la terrasse d’où elle admirait l’horizon, ou pour conduire ses invités aux pierres sur lesquelles ils se plaçaient pour entendre l’écho des paroles, des chants ou des cris. La préposée s’est tellement identifiée à l’existence du château d’autrefois qu’il lui arrive, me semble-t-il, de mettre au temps présent les petits faits qu’elle relate, disant par exemple :

— Madame la marquise ne « passe » jamais par ici…, ne « va » jamais là…

Cette femme, jeune encore, qui vit son existence parmi ces souvenirs, peut s’imaginer qu’elle va voir un jour tourner l’avenue par quelque vieux carrosse où par une antique berline chargée de seigneurs et de dames venant faire visite à Mme  de Sévigné. En attendant, elle explique comment le château des Rochers est devenu la propriété des Sévigné, à la suite du mariage d’Anne de Mathefelon, dame des Rochers, avec Guillaume de Sévigné, chambellan du duc de Bretagne, Jean IV, fils de Jean de Montfort. Le château passa ensuite aux mains de la petite-fille de la marquise, Pauline de Grignan, marquise de Simiane, puis en 1714, il fut acquis par les Nétumières, ses propriétaires actuels. J’entends cela, et je vois les détails de la chapelle, les ornements, les peintures, les cadres aux armes de Bussy-Rabutin, le lustre de cuivre doré en forme de fleur de lis, les fauteuils rangés devant l’autel, qui semblent attendre les fidèles d’il y a deux cents ans. Je vois la chambre où chaque meuble, chaque objet occupent toujours la place qui leur fut assignée. Voici le lit à baldaquin partagé durant si peu d’années avec le dissipé et peu fidèle marquis. Voici, devant une croisée, la table-bureau où la marquise aimait à s’installer pour écrire à sa fille. En face de la fenêtre, sous la copie du portrait de Mignard, voici la vitrine des reliques : l’encrier, la tasse, un compte de dépenses dressé par Beaulieu, le maître d’hôtel. Les fauteuils, les chaises n’ont pas été dérangés. Le coffre à bois, vermoulu, a dû être remplacé, l’architecte a fait copier l’ancien modèle et, tandis que je parcours la pièce, une jeune fille en sarrau s’applique à imiter la décoration du premier meuble. D’autres meubles, prêts à tomber de vétusté, sont réparés sur place par un ouvrier qui bouche les trous, fait les raccords, consolide, à l’aide de brides et d’équerres, les pieds et les dossiers branlants. Auprès du lit, au-dessus d’une petite commode-toilette encore garnie de ses accessoires, sourit une miniature de la marquise, très jeune, la chevelure ébouriffée, les yeux grands ouverts, les joues roses, comme si elle revenait d’une randonnée à travers le parc.

CLOCHER DE L’ANCIENNE ÉGLISE SAINT-MARTIN À VITRÉ.

Au jardin, tracé par Le Nôtre, les allées sont ombragées par des cèdres plantés au commencement du siècle dernier. Les caisses d’orangers s’alignent le long de l’avenue centrale qui conduit à la grille du parc et à la muraille basse qui renvoie en échos les ondes sonores de la voix humaine. Deux pierres marquent l’endroit où ce phénomène, « petit rediseur de mots jusque dans l’oreille », est le plus sensible. À droite du château, c’est le parc dont il est tant de fois parlé dans les Lettres, ce « bois de décoration, garni de grands et anciens bois de haute futaie, dans lequel il y a plusieurs bocages, de belles et grandes allées, un jeu de mail, un labyrinthe, des garennes et refuges à lapins, vergers, champs et semis. » Ce labyrinthe, qui occupait la place du potager actuel, a beaucoup