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LES VIEILLES MAISONS DE RENNES.

Pendant que je lis cette inscription dont je respecte la forme et les caractères, et que je cherche à deviner ce que sont ces « sensures », la veuve Trufaud, qui m’a aperçu, va prendre un bocal sur une planche, dans sa petite maison basse composée de deux pièces au rez-de-chaussée. On parvient à l’entrée après avoir franchi un pont étroit fait de quelques planches de sapin d’un pouce d’épaisseur, réunies par deux traverses et jetées en travers du fossé. La bonne femme élève le bocal dans le soleil. Les « sensures » sont des sangsues :

— Voyez, me dit-elle, comme elles sont gentites quand elles se dégourdissent à la lumière et à la chaleur. J’en ai dans toutes les saisons, et dame ! il y a des moments où c’est pas commode d’en attraper… Elles ont trois mâchoires, vous voyez bien, et c’est avec ça qu’elles percent la peau des malades. Ça avale jusqu’à trois fois son poids de sang. Ah ! les gourmandes.

— Et dans votre bocal, que mangent-elles ?

— Oh ! rien, je change l’eau, voilà tout. Ça jeûne pendant des années, cette engeance-là ! Tenez, regardez si elles se remuent. (Le fait est que les petites bêtes serpentent, s’agitent dans tous les sens). On dit que ça ne voit pas clair, mais je crois bien que ces points noirâtres, qui brillent au soleil, ce sont leurs yeux.

— Où faites-vous votre pêche ?

— Dans l’étang de Combourg. Ah ! c’est pas commode de les prendre, allez !

— Vraiment ! Comment faites-vous donc ?

— Ah ! c’est un moyen que je peux pas dire, dame ! sauf le respect que je vous dois. Si tout le monde le savait ! Ça se vend assez dans des saisons. C’est pas pour dire, mais il n’y en a pas beaucoup dans le pays d’aussi bonnes. Tous les pharmaciens des environs m’en demandent. Dans l’étang, ça mange de tout, des limaces, des limnées, et puis quand les gamins vont se baigner, elles leur piquent les jambes… quand je suis là, je leur-z-y enlève. En voulez-vous quelques-unes, monsieur ?

— Non, madame, merci ; au revoir.

Je ne quitte pas pourtant la veuve Trufaud sans qu’elle m’ait montré son jardin, derrière sa maison, un jardin si petit que l’on ne peut pas y entrer deux : il y a trois choux, un puits, et un pied de vigne qui grimpe au mur.

Après avoir fait volte-face, la silhouette du château reparaît, puis disparaît dans l’épais feuillage des