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la tour octogonale de Montmorillon, en Aquitaine, ont conclu qu’il était l’œuvre d’un seigneur qui se serait fait bâtir une église sur le modèle de cette tour, qui elle-même revêt la forme de l’église du Calvaire de Jérusalem.

LE TEMPLE DE LANLEFF.

S’il est permis de départager tant de savants personnages, j’ose voir dans le temple de Lanleff une construction chrétienne. Il existe à Quimperlé une église de forme semblable, Sainte-Croix, bâtie elle aussi sur le modèle de l’église du Calvaire. Ce qui est certain, c’est l’impression de lointain passé, de vie à jamais abolie, qui se dégage de cette double enceinte circulaire, en granit et en tuf, du temple de Lanleff, de ces douze fenêtres aux arcades voûtées en plein cintre, séparées l’une de l’autre par des colonnes romanes. Au milieu de tout cela, des débris, de l’herbe, des arbustes, la ruine reprise par la végétation, le feuillage des arbres proches pénétrant par les fenêtres, un oiseau qui chante et qui s’envole, une gardeuse de chèvres qui chantonne. C’est la Bretagne mélancolique. Tout à côté, à l’auberge, c’est la Bretagne gaie. Partout, l’humanité est double, cherche son équilibre de larmes et de rires. Dans la salle où je déjeune, deux vieilles femmes viennent chercher pitance. Elles semblent, quand elles entrent, contemporaines du temple de Lanleff, voûtées, cassées, ridées, vieilles ruines, elles aussi, couvertes de mousses. Mais il y a, dans leur tête branlante, comme dans la ruine, un petit oiseau qui chante. Rassasiées, égayées par le repas, les voilà qui ôtent leurs sabots, qui pincent leurs jupes de futaine, se font des révérences, et dansent, vis-à-vis l’une de l’autre, une vieille danse à pas comptés qu’elles accompagnent de paroles lentes et de rires vifs. Elles sont tout autres maintenant, un air de jeunesse est monté à leurs joues roses comme des pommes, à leurs yeux de bluet fané, comme lorsqu’un peu de soleil vient briller sur les vieilles pierres.

Pour aller au bourg de Plouha, où l’on commence à parler breton, si l’on part de Portrieux et de Saint-Quay, le paysage déploie des aspects infiniment variés : toutes les formes du pittoresque et toutes les manières d’être du monde social. C’est l’exhibition au bord de la mer, à Saint-Quay, des grâces convenues de la villégiature parisienne, des chalets et des castels à la mode de Saint-Mandé et d’Asnières, des diseurs de riens de toutes les plages. À quelques minutes de Saint-Quay, le village de Kertugal, caché dans son enceinte de verdures et de blocs informes, sur une colline dominant la mer, évoque l’humanité ancienne, les feux allumés sur les tertres, les pierres rangées en cercle, les cavernes aux entrées de broussailles. Une population aux yeux riants, au parler vif, s’abrite aux débris de ces dolmens et de ces menhirs. Tréveneuc, avec son château de Pomorio, sa haute futaie d’arbres splendides, ses allées de chênes de cinq cents ans, ses murs de granit, est l’image résistante du pouvoir seigneurial d’autrefois ; mais si l’image a survécu, la réalité commence à s’évanouir : le comte de Tréveneuc, qui est le marquis de Carabas de cette région, a été battu un jour d’élections par un « vilain » de Saint-Brieuc. Après le château de Pomorio, la chapelle de Kérigal, autre vestige plus significatif de la réalité. Quoique le sentiment catholique soit ici affaibli, — sentiment qui fut d’ailleurs toujours très mélangé, en Bretagne, de traditions païennes et de superstitions locales, — le prêtre est encore fort sur la terre des druides. J’entends raconter, dans ce pays républicain, des faits extraordinaires de terreur religieuse : des commerçants mis à l’index, obligés à la messe, un instituteur en butte à la famine, lors de son arrivée, ne parvenant à vaincre, non l’hostilité, mais la peur, qu’à force de volonté et de courage.

Continuons notre route. Partout à l’horizon, des silhouettes de villages, des clochers qui émergent des verdures. À droite, des échancrures de laissent voir la mer, molle et bleue sous le soleil, les hautes falaises rocheuses du Palus, son immense plage toute en sable fin. Je n’arrête donc au Palus. Et je fais encore un crochet pour passer à Lanloup, si joli avec son tout petit clocher à jour, son porche orné de bêtes cocasses. Et le chemin de Lanloup me mène, par une descente fleurie, à Bréhec, quelques maisons contre la plage, une entrée