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de mer sous de hautes falaises, un amas de rochers dont on détache des feuillets empreints de fougères. La route reprise, voici, après ces tours et ces détours, la montée de Plouha, la grande place, le bourg bien bâti, dressé en pleine lumière avec son haut clocher sur une éminence de 100 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer. On domine des landes boisées, dont les coupes sont utilisées pour les constructions navales. La campagne est sillonnée par sept chemins qui, dans le bourg, forment autant de rues. Plouha fut le lieu de rendez-vous de la noblesse pauvre de la Bretagne et aussi de l’Angleterre, dépossédée de ses biens à la chute des Stuarts. Tous ces porteurs de noms titrés, exilés ou cadets de famille dépouillés par le droit d’aînesse, exerçaient là de durs métiers ou se livraient à la culture. Le dimanche, ils assistaient aux offices, ceints de leurs épées, et reprenaient pour quelques heures leur rang et leur privilège, gloire d’un instant épanouie dans une église de campagne et qui devait suffire à leur ambition. Non loin de Plouha, près d’un terrain de champ de foire, est la pittoresque chapelle de Kermaria, pourvue d’un balcon d’où l’on proclamait les arrêts rendus par le sénéchal. L’intérieur n’est pas moins curieux, décoré de peintures murales malheureusement en mauvais état : toute une danse macabre, où figurent le Roi, le Seigneur, l’Archevêque, le Gentilhomme, la lame, etc., conviés au bal funèbre par des squelettes, images de grandeur naturelle, d’un pur dessin précis, d’un style élégant, dues probablement à quelque artiste d’Allemagne en tournée dans l’ouest.

De Plouha, on peut aller à Paimpol. On peut y aller aussi de Lanleff, en passant par Pontrieux, où nous sommes allés déjà. De Lanleff à Pontrieux, il y a de mauvais chemins, mais si perdus, si beaux, et la distance n’est pas longue, 2 kilomètres à peine. Pontrieux, bâti au pied d’une montagne et divisé en deux par le Trieux, devenu navigable, est agréablement environné d’un paysage charmant, surtout aux bords de la rivière où l’on peut voguer en bateau, à l’ombre de grands arbres. Ne quittons pas Pontrieux sans rendre hommage aux Pontriviens, réputés comme de fortes têtes. « Pontrieux, a dit en 1840 le président Habasque, a été constamment attaché à la cause de la Révolution. » En septembre 1792, les femmes de ce pays marchèrent avec leurs maris dans les rangs de la garde nationale. Une inondation, survenue à la Noël de 1778, détruisit le pont, plusieurs maisons, et une servante de moulin, qui avait assisté à la messe de minuit, ne trouva, au retour, qu’une nappe d’eau qui couvrait l’emplacement de l’habitation où elle croyait rentrer. Depuis cette époque, chaque année, durant la nuit de Noël, on entend, à cet endroit, le bruit de la roue du moulin. Le port de Pontrieux est situé à 3 kilomètres, sur le territoire de Quemper-Guézennec. Ses eaux suivent les variations des marées et atteignent jusqu’à 4 mètres de profondeur. On y charge, entre autres matériaux et denrées, des bateaux de sable provenant de l’île Verte, de l’Arcouest, de Modez, de Toul-ar-C’hrom, de Loquivy et de la Courtaise.

UNE PAIMPOLAISE.

Que l’on soit venu par le Trieux, en bateau, ou par la route, à pied ou en voiture, voici Paimpol. C’est l’apparition complète de la mer : une étendue d’eau laiteuse, où sont dessinés les courants autour des taches sombres et massives des îles. Il est impossible de ne pas songer aux artistes de l’Extrême-Orient devant cette nature du septentrion, et ce sont les noms d’Hokousaï et d’Hiroshighé qui viennent à la mémoire lorsque se déploie subitement ce paysage de ciel, d’eau et de rochers, semblable aux merveilleux résumés de leurs estampes. Paimpol ! Il faut aussi penser au Pêcheur d’Islande de Loti lorsqu’on marche sur les pavés de la ville, que l’on entre sur la place aux maisons grises et rousses : « vieilles maisons de granit… vieux toits racontant leurs luttes de plusieurs siècles contre les embruns, les pluies, contre tout ce que lance la mer ; racontant aussi des histoires chaudes qu’ils ont abritées, des aventures anciennes d’audace et d’amour. » La mélancolie de Gaud Mével persistera longtemps à Paimpol, par les jours de soleil et de fête comme par les jours de pluie et de chagrin. Le personnage de roman, lorsqu’il est ainsi animé d’une vie représentative, prend