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pénétrer en 1336, par trahison, la nuit, et de lancer ses hommes à la curée, au viol, au carnage, par les rues où tout dort. Geoffroi de Pontblanc, gouverneur, est fait prisonnier, a les yeux arrachés avant d’être mis à mort, et cela est consacré par une croix scellée dans un mur de la rue de Tréguier. C’est le fait le plus saillant de l’histoire de Lannion, qui va, à travers d’autres souvenirs de guerre civile, jusqu’à l’émeute d’octobre 1789 autour d’un chargement de blé.

L’église Saint-Jean du Baly érige une tour carrée au milieu de sa façade, en remplacement du clocher en bois qui fut démoli en 1760, parce qu’il « venait de faire un effort » et menaçait d’une chute prochaine ; cependant, « 158 arbres de la forêt du Poirier, en Landebaëron, 10 000 ardoises et 18 000 kilogrammes de plomb avaient été employés à la construction de cette flèche. » Sur la rive gauche du Guer, au sud de Lannion, il ne reste de l’ancienne église de Kermaria an Draon que quelques parcelles attenantes à des habitations et un portail cintré. Hors Lannion, à Brevelenez, l’église, précédée d’un calvaire, qui est bâtie sur la hauteur au-dessus du village, fait un curieux ensemble architectural avec l’ancien auditoire, l’ossuaire, la chapelle de saint Pierre et de saint Roch, qui dépendent également du bourg. Autour de Plouaret et de son joli clocher, vingt-quatre chapelles étaient jadis des lieux de pèlerinage ; il n’en reste guère que cinq ou six qui ont conservé leur forme primitive, les autres sont en ruines.

Si l’on va vers la mer, on parvient à Perros-Guirec après avoir passé devant le haut menhir de Pleumeur-Bodou surmonté d’une croix, les dolmens de Bringuillier, le château de Kerduel, les ruines de l’église romane de Louannec. Perros-Guirec, c’est encore le souvenir de Renan : par un chemin à droite du port, on va à Rosmapamon, la maison tranquille perdue parmi les fermes, au dédale des chemins, non loin de la mer que l’on voit briller à travers les arbres du jardin touffu. Le port peut être un lieu d’abri pour les navires surpris par les gros temps. Il est éclairé par quatre feux fixes. Plusieurs fois, il a été question d’en faire un port militaire : pour l’instant, on y embarque divers produits du pays, et surtout du bétail, pour l’exportation. La baie forme un bel arc de cercle, avec deux batteries aux pointes, et une balise à l’entrée pour signaler la dangereuse roche Penmarch. Au-dessus du port, c’est le bourg, grimpant sur la hauteur, un joli bourg de petites maisons et de petits jardins clos abondants en arbres fruitiers, en arbrisseaux de pays tièdes, en fleurs. Maisons et jardins se groupent autour d’un vieux clocher à coupole romane. L’église de Perros est construite sur l’emplacement d’un ancien monastère fondé au vie siècle par saint Guirec. Elle est charmante d’ensemble et des détails d’art naïf et vivant y abondent : scènes bibliques au portail sud, bénitier taillé dans un bloc de granit rose et soutenu par des cariatides, autre bénitier où les antiquaires voient une ancienne mesure publique appelée prœbendarium, sculptures aux murailles inspirées du vieil esprit railleur et sensuel. Pour l’architecture intérieure, elle est simple : pas de transept, pas de chapelles latérales, trois nefs qui s’en vont tout droit jusqu’au chœur. Un cimetière entoure l’église, comme la plupart des églises de Bretagne. Un petit chemin me conduit au calvaire. Un autre me fait descendre vers la mer. Je suis les côtes, les belles échancrures de sable de Trestraou. Je remonte pour atteindre Notre-Dame-de-la-Clarté, datée de 1530, dressée parmi quelques maisons, et qui donne à voir, la porte poussée, un vieux bénitier et une verrière de vitraux armoriés. Mais ce que l’on voit au dehors est bien plus extraordinaire. C’est Ploumanach et son paysage de pierres.


(À suivre.) Gustave Geffroy.



LA TABLE DE SAINT-YVES À MINIHY-TRÉGUIER.