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épaule, les bras autour de son cou, tandis qu’un jeune homme, à ses genoux, semble lui demander protection. Sur un balcon, un homme a la main droite sur le ventre et se ploie en deux. Un douanier est retrouvé intact, asphyxié sous un canot qu’il avait retourné, espérant y trouver un asile contre la mort implacable. Et partout ce sont les mêmes scènes de suprême douleur, d’épouvante et d’horreur. Les groupes sont nombreux. Il semble qu’on ait voulu se réunir pour se sentir plus fort devant l’événement dernier, pour mourir comme on avait vécu, dans une communion intime des âmes. Les membres d’une même famille, étroitement entrelacés, paraissent ainsi accepter avec plus de courage la mort en commun, le passage en compagnie dans l’éternité pleine de mystérieux effroi… »

Voici maintenant quelques lignes qui nous racontent comment s’opère, au milieu des ruines, la lugubre besogne de l’incinération des cadavres :

« Les équipes travaillent courageusement. Les ouvriers, un mouchoir imbibé d’acide phénique sur le nez et sur la bouche, placent sur les morts quelque menu bois et versent dessus du pétrole. Une allumette est enflammée, puis le bois, et l’incinération commence. Les cadavres sont brûlés à la place où on les trouve, isolément ou en groupe, selon le cas. »

La population de Saint-Pierre comptait six mille blancs : on croit qu’il n’y avait pas plus de deux ou trois cents absents le matin du sinistre. La plupart sont aujourd’hui sans ressources. Un grand nombre de familles disparues avaient des enfants en France : des filles dans des couvents de Paris, des fils en pension ; l’Université compte une vingtaine de Martiniquais dans les lycées de la capitale ; ces malheureux enfants ne possèdent plus rien. Les journaux américains parlent d’une perte totale de quarante millions de dollars. Mais, en outre, Saint-Pierre était le centre du commerce et de l’industrie de l’île qui vont se trouver paralysés pour longtemps. La terre, bien au delà du champ du sinistre, est recouverte d’une couche de cendres qui a détruit les végétaux ou qui les a rendus impropres à la nourriture des bestiaux.

Que de ruines et que de deuils accumulés sur cette pauvre petite terre si française !

Et depuis la terrible éruption du 8 mai, d’autres éruptions d’une violence extrême se sont produites, jetant l’épouvante au milieu de cette malheureuse population, déjà si éprouvée. L’éruption du 20 mai, plus terrible, dit-on, que celle du 8, a causé une véritable panique à Fort-de-France ; elle a renversé les dernières murailles de Saint-Pierre, restées debout, et a enseveli sous plusieurs mètres de cendres les corps des innombrables victimes. Des savants annoncent d’autres sinistres.

Dieu veuille qu’ils se trompent et que la pauvre Martinique, après avoir subi un des plus affreux désastres qu’ait jamais enregistrés l’histoire de l’humanité, soit conservée à la France qui pleure avec elle ses enfants disparus !


RECHERCHES DANS LES RUINES. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.