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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/453

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donnent les détails les plus poignants sur les scènes horribles auxquelles ils ont assisté. Leur tâche a été dure et leur dévouement digne de tous éloges. Beaucoup d’entre eux ont péri, tant à Saint-Pierre qu’au Morne-Rouge et, plusieurs fois, ils ont essuyé le coup de feu des bandes de pillards. Menacés à la fois par le volcan et par les terrains fendillés et brûlants qu’il fallait parcourir du matin au soir, et fréquemment la nuit, brisés de fatigue, ils s’estimaient heureux en découvrant, de-ci, de-là, quelque blessé qu’un prompt secours pouvait sauver peut-être. Sans ces braves gens, le brigandage aurait été complet, et nombre de malheureux, manquant de nourriture comme de secours, auraient péri sans que voix humaine entendit leurs plaintes et leurs souffrances. Le métier de gendarme dans les colonies est dur, étant donné surtout qu’à toute heure et par tous les temps, cette fonction appelle parfois à de grandes distances, et ce n’est qu’au bout de six années révolues de service, que ce modeste serviteur a droit à un congé de six mois ; en revanche le bureaucrate, penché quelques heures par jour sur son pupitre, le plus souvent même absorbé par la politique ainsi que par le souci de ne pas laisser éteindre sa cigarette, se voit octroyer d’interminables congés… de convalescence !

RUINES D’UNE RHUMERIE, APRÈS LE 20 MAI. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mes amis, les gendarmes, trouvent encore le temps, dans leurs loisirs, de cultiver un petit jardin et de donner un démenti formel aux fainéants qui prétendent que le climat ne se prête pas à la culture de nos légumes d’Europe. Je ne les vois pas seulement en terre, mais j’en goûte à leur table : navets, petits pois, tomates, salades, carottes, même des choux et du raisin.

« Et le serpent, le fameux trigonocéphale, qui autrefois formait le sujet continuel des conversations à la Martinique, est-il toujours aussi fréquent ? demandais-je un jour à un brigadier qui m’accompagnait, dans une excursion à cheval, où il fallait traverser un terrain couvert de broussailles. — Bien moins qu’autrefois, me répondit-il, depuis qu’on a introduit ici, comme à Sainte-Lucie, la mangouste, qui se reproduit dans des proportions inquiétantes et qui fait une véritable hécatombe du dangereux reptile. Mais cette même mangouste, ne trouvant plus assez de serpents à dévorer, s’attaque maintenant aux poules et fait le désespoir du fermier. »

La route du Lorrain à la Trinité, très pittoresque, longe la mer qui, de ce côté de l’île, est toujours tourmentée. Souvent le Marigot est le seul point de cette partie de la cote où l’on puisse débarquer. Au moment où j’y passe, une goélette se dirige vers l’anse ; mais le pavillon, que vient de hisser un employé du port, indique qu’elle n’a qu’à rebrousser chemin. Mon cocher me raconte que, bien souvent, pour pouvoir