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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/536

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doivent pas se lasser de relater des défectuosités d’existence et des tristesses de civilisation. Il suffit de voir de ses yeux, d’entendre de ses oreilles, de regarder des attitudes, de recueillir des conversations. Fins d’automnes agitées de vents, commencements d’hiver, froids printemps, presque toutes les saisons sont dures pour ceux qui vivent des flots, qui ont leur existence subordonnée aux agglomérations des nuages, aux directions du vent. On ne peut pas sortir tous les jours, profiter des passages de poissons : on y laisserait sa barque et sa vie. Il y a déjà des incertitudes aux départs, quand le temps paraît le mieux fixé, que la brise favorable semble promise. On ne sait jamais si une tache noire ne se formera pas dans le bleu du ciel, envahissant peu à peu l’espace, si la calme atmosphère ne sera pas traversée par une fureur subite, si la régularité des vagues ne se transformera pas en assauts démesurés contre la barque joyeuse brusquement flottante comme un cercueil.

Qu’est-ce donc, avec toutes les menaces réalisées, avec les innombrables probabilités de pertes, que la frêle embarcation lancée en grosse mer ? Elles ont raison, alors, les romances qui parlent de départs périlleux et de retours incertains, qui montrent la femme et les enfants du marin attendant sur la jetée la tremblante apparition de la voile sombre ou livide qui semble, au loin, vouloir hâter son mouvement d’oiseau blessé. Il faut donc que la lourde nécessité pèse sur l’épaule de ces hommes, qu’une violence de volonté les jette au danger, pour qu’ils appareillent par les lamentables nuits où les appels de la mort retentissent jusqu’aux seuils de leurs demeures, ébranlent leurs portes de coups redoublés. Cette fin ou une autre, peu leur importe sans doute. Il y a parfois un désir de fuite, une façon de jouer le tout pour le tout, dans ces sorties du port aux heures où s’annoncent les tempêtes.

S’il y a davantage de résignation, un fatalisme à vivre la vie, à laisser passer les jours, et que le marin reste à terre, il suffit de le rencontrer pour avoir la sensation de sa pénurie et de l’inutilité de son courage. Dans sa face hâlée, ses yeux bleus avouent la lassitude. Son tricot et sa vareuse en haillons témoignent, par leurs pièces, leurs coutures et leurs reprises, d’années de service nombreuses et fatigantes. L’homme se promène, désœuvré, ou accomplit, quand il le trouve, un travail d’occasion. Il mange des mûres au long des haies, il ramasse du bois mort.

En temps de pêche, quand les bateaux sortent, le pêcheur aura sa part de gain. Mais quel gain ! On peut faire une enquête, interroger les gens, on apprendra que la moitié des bénéfices est au propriétaire de la barque, que les hommes se partagent l’autre moitié, que les prix de vente ont baissé dans des proportions extraordinaires, et que, par une singulière anomalie, pour la sardine, par exemple, les prix baissaient en même temps que les passages devenaient plus rares. Paris ne sait pas au prix de quels labeurs, de quelles luttes héroïques ces humbles et rudes compagnons lui font tous les jours sa table servie.

RUINES DE L’ANCIENNE ABBAYE DE LANDÉVENNEC, FONDÉE AU Ve SIÈCLE PAR SAINT GUÉNOLÉ.

De la pointe de Toulinguet, en suivant la côte, on est vite en vue des Tas-de-Pois, rocs dressés dans la mer et toujours couverts du bouillonnement de l’écume. Je les ai déjà vus en barque, je les aborde maintenant de la côte. Ils sont, de toutes façons, de l’aspect le plus monumental, le plus farouche, avec leurs couloirs d’eau bouillonnante où se rue la mer, leurs flancs crevassés, usés, corrodés par le soleil et la pluie, le vent et la tempête. Et c’est charmant et réconfortant de voir, sur la plate-forme de l’un de ces blocs, en face de la mer rugissante, la petite maison blanche, le mât et l’appareil des signaux