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et je remonte en voiture avec une certaine mélancolie. Je vois alors que Brasparts est bâti sur un monticule d’où l’on commence à pressentir le mouvement des monts d’Arrée, et je me remémore le proverbe : « Aplanir Brasparts, épierrer Berrien, désherber Plouyé, trois choses impossibles à Dieu. »

SCULPTURES DU CALVAIRE DE PLOUGASTEL QUI DONNE L’IMPRESSION D’UNE FOULE DE PIERRE VIVANTE.

Bientôt, c’est le paysage de montagnes, le cirque des monts d’Arrée. La hauteur n’est pas extrême, puisque le point le plus élevé, où je vais arriver tout à l’heure, le mamelon de Saint-Michel, n’a pas 400 mètres, mais la courbe abrupte des pentes et l’aigu des sommets, percés par la roche schisteuse, ont un caractère de grandeur et de sauvagerie indéniables. L’horizon est immense de plus en plus, à mesure que l’on se hausse vers ce point. La souple ondulation des montagnes Noires est au sud, pendant que le nord est barré de la dure crête d’Arrée, où se dresse la dent pointue, et cruelle du Roc-Trévézel. Cette étendue, bien circonscrite, rigidement délimitée, est difficile à évaluer. Il y aurait là la place d’une ville immense, si une ville pouvait s’établir dans un tel bas-fond marécageux, entouré de hauteurs désolées d’où tombe, en hiver, un froid mortel. Des gens qui ont habité, autrefois, les villages bâtis sur les versants de ces dures crêtes, m’ont dit avoir vu, aux temps de neige prolongés, des loups s’aventurer jusqu’aux premiers jardins. Il n’y a plus de loups, mais on y chasse encore. Les « messieurs » de Quimper, de Châteaulin, de Morlaix, de Landerneau, de Brest, y viennent tirer les canards, les oies, les cygnes sauvages, aux époques des migrations. C’est avec la plus grande prudence qu’il faut, dit-on, s’aventurer dans ces fonds. Le sol spongieux et tremblant cède sous les pas, et l’homme peut disparaître et se noyer dans la boue, comme il s’enlizerait dans les sables mouvants d’une grève. Du moins, on le dit, et sans doute un accident de ce genre est-il arrivé. Cela suffit pour la mauvaise renommée du lieu, et cela suffit aussi pour donner aux passants l’appréhension nécessaire et les empêcher de s’aventurer dans les bas-fonds inquiétants. Les chasseurs, seuls, gens intrépides, et qui savent étudier un terrain, peuvent se risquer parmi ces fondrières et en rapporter profit et honneur.

SOUS LE CALVAIRE DE PLOUGASTEL.

Je me trompe. Il y a d’autres industries que celle de la chasse qui peuvent s’exercer dans les marécages de Saint-Michel. D’abord, j’aperçois çà et là des carrés de différentes nuances de vert qui annoncent quelques tentatives et réussites de culture, quelques fèves de marais, peut-être, ou bien rien du tout. À cette distance, je ne sais, et mon voiturier ne connaît que ce qui pousse au bord des routes. Ensuite, et cela devient alors tout à fait certain, ce sont les amas et les découpages réguliers des tourbières.