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quelques jours, je vais, par les routes et les forêts, explorer les environs. Par Cludon, Kernevez, à travers des paysages magnifiques de force et de solitude, je vais à la forêt de Beffou. C’est un reste des anciennes forêts qui couvraient la Bretagne, — la Bretagne, sûrement, fut une forêt compacte, — et que les immigrés ont dû déboiser, mètre par mètre, pour respirer, former des terres arables, se construire des habitations. Beffou est resté, grâce à l’aridité du sol rempli de minerai où domine le plomb. Il n’y a guère de chemins, mais des sentiers interrompus à chaque instant par des landes et des fossés. J’arrive au Pavé, ancienne voie romaine, fragment probable de la route de Carhaix à Tréguier, dont on retrouve çà et là des traces. Des chênes, des pins, des hêtres, des bouleaux, poussent d’un sol de bruyères et de fougères. Les points riches en humus sont marqués par des cimes plus élevées, une floraison plus grasse. Çà et là, des anfractuosités de rochers, repaires possibles de loups et de sangliers. C’est, à part quelques rochers plus hauts et des pentes plus raides, la même impression qu’à Paimpont. Prendre la route de Loguivy m’éloignerait trop de Belle-Île. Je trouve nourriture et gîte suffisants dans une maison au bord d’une route, et, le lendemain, je rentre en forêt. Forêt de Coat-an-Nay, forêt de Coat-an-Noz, le Bois du Jour et le Bois de la Nuit, qui se touchent, sauf la séparation d’un ruisseau. Coat-an-Noz, surtout, est admirable de pousse drue, de grandeur, de solennité farouche, avec tout à coup l’apaisement régulier d’un parc, autour de la maison de la Bosse, en pleine forêt, non loin des Forges. On traverse, comme on veut, ces domaines bretons, et je me trouve presque sans transition, en sortant des antres les plus sauvages, à la lisière d’un beau jardin régulier où j’aperçois des jeunes filles vêtues de blanc qui jouent au tennis. Je sors par Locquenvel, au clocher du xiie siècle, au fin jubé, aux vitraux racontant la vie de saint Envel.

J’aime Belle-Île-en-Terre, au centre du paysage verdoyant, sans cesse rafraîchi par la rivière et les ruisseaux qui courent de toutes parts. Dans mes souvenirs, ce pays, avec ses arbres légers, sa verdure tendre, à si peu de distance du sombre Coat-an-Noz, me semble une verte et tendre prairie, coupée de cressonnières. Le bourg est le lieu de sécurité, le résumé du monde que j’ai déjà rencontré. Quelqu’un, qui a habité Belle-Île autrefois, me dit la vie de petite ville menée là, les boutiques, les usages de commerce, le monde ouvrier de la papeterie établie sur la rivière, le monde de fonctionnaires et de bourgeois qui formait une société avec ses rites, ses rencontres, ses réceptions, l’atmosphère d’idées et de conversations alimentées par la présence perpétuelle des choses de la campagne, des chasses, de tous les événements qui peuvent se produire à l’intérieur et au dehors des maisons, à la ville et aux champs. Le décor est le même, et l’existence n’a pas changé. C’est le même au-jour-le-jour paisible, avec l’afflux de toute la vie environnante, une fois par semaine, pour le marché. Le temps se passe ainsi très doucement à flâner autour des halles, aux vitres des boutiques, à s’en aller en excursion à Louargat, à Plounevez, au Menez-Bré, haut de 300 mètres, d’où l’on voit toute une étendue verte et sombre, tout un mamelonnement de collines et de forêts jusqu’aux montagnes à l’horizon, et au nord la noirceur ou la lividité de la mer. Et surtout, je m’en retourne au matin vers le Bois du Jour, pour revenir le soir par le Bois de la Nuit, en descendant les routes escarpées, bordées de sombres massifs où j’entends les hiboux roucouler comme des tourterelles.


Gustave Geffroy.


FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE



L’ÉGLISE DE MUR. LES ARMES DE BRETAGNE AU CHEVET DE L’ÉGLISE.