UN VOYAGE EN CORÉE
’aurais pu donner à ce récit le titre plus poétique de Voyage au pays de la Rosée du Matin ; sous ce vocable, plein d’élégance et
de séduction, les Coréens désignent leur patrie qui, à leurs yeux,
possède des charmes nombreux, tous les attraits et beaucoup de
richesses. Ne leur en voulons pas de montrer une telle affection pour
leur pays et félicitons-les, au contraire, d’être les fils reconnaissants
d’une terre qui leur donne quelques joies, mais ne leur ménage
pas les peines et les misères.
J’ai donc été heureux de profiter d’un moment de répit, pendant la dernière expédition de Chine, pour aller visiter cette presqu’île, pendant longtemps fermée aux influences extérieures. En vertu d’une politique étroite, mais avisée, ce pays s’était toujours efforcé de vivre recroquevillé sur lui-même, silencieux, tâchant de se faire oublier, refusant même de laisser connaître son passé historique aux savants d’Europe, isolé par la mer et créant un désert artificiel sur sa frontière de terre septentrionale. Mais c’est en vain qu’il voulait résister à une évolution fatale, il n’a pu rester plus longtemps en marge du monde et, de gré ou de force, il a dû suivre le mouvement qui entraîne toutes les nations vers un but de rapprochement.
Le croiseur Friant, sur lequel j’étais embarqué, reçut l’ordre de quitter Chan-haï-kouan, au pied de la grande muraille ; il allait reconduire en Corée des coolies coréens et portait deux officiers du corps expéditionnaire, chargés de présenter à l’empereur de Corée les remerciements du général Voyron pour l’aide qu’il avait prêtée au corps expéditionnaire français et pour les douceurs, cigares et cigarettes qu’il avait fait adresser aux soldats malades et aux rares blessés.