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La traversée de Chan-haï-kouan à Tchemoulpo prend trois jours, que nous pûmes employer à nous documenter sur le pays de « la Rosée du Matin ». C’est seulement depuis 1887 que les étrangers sont autorisés à pénétrer dans le royaume et à y circuler en toute liberté ; auparavant, ils étaient immédiatement expulsés ou mis à mort. Seul, un Américain avait trouvé grâce et était devenu conseiller intime du roi, mais il devait s’habiller à la mode du pays et se montrer le plus rarement possible dans les rues de Séoul.

En 1866, la France envoya une colonne militaire destinée à venger le massacre de quelques-uns de nos compatriotes, mais elle n’eut aucun succès, par suite de circonstances diverses, et son échec ne fit qu’augmenter l’orgueil du Gouvernement local et renforcer les lois prohibitives vis-à-vis des étrangers.

CARTE DE LA CORÉE.

Chacun sait que ce pays forme une presqu’île située entre la mer du Japon et la mer Jaune et limitée au nord par la Chine ; sa superficie représente environ les deux cinquièmes de la France ; elle a une longueur de 900 kilomètres, une largeur de 220 et sa population peut être évaluée à 10 ou 12 millions d’habitants. Bien que sous la latitude de Naples, la Corée n’en a pas moins un climat extrême : étés torrides, hivers rigoureux ; Lapérouse y trouva de la neige dans les ravins, au mois de mai.

Avant la guerre sino-japonaise de 1896, le roi, placé sous la suzeraineté de la Chine, n’était réellement reconnu qu’après avoir reçu l’investiture du fils du Ciel ; son rang était même inférieur à celui des vice-rois du Chan-toung ou du Petchili, et, malgré son titre de souverain héréditaire, il comptait en Chine des fonctionnaires révocables plus élevés. Tous les deux ans, il devait envoyer à Pékin une ambassade chargée de porter le tribut de vassalité : de la poudre d’or, des nattes, des tapis et la fameuse racine du gensang, plante tonique et reconstituante. Quelques mois après, un représentant du suzerain venait à Séoul rendre la visite officielle, apportait quelques cadeaux en échange du tribut et publiait officiellement le calendrier impérial ; le roi de Corée devait aller à la rencontre du mandarin chinois et l’escorter jusqu’au palais meublé luxueusement pour recevoir un personnage d’une telle importance.

Mais, depuis la défaite de la Chine par le Japon, le roi Li-hsi s’est déclaré indépendant, et, pour marquer sa liberté reconquise, il se revêt maintenant de la robe impériale jaune que nous lui avons vue lors de l’audience qu’il nous accorda ; il fit enfin démolir l’arc de triomphe sous lequel passait l’ambassadeur chinois et ordonna d’en bâtir un nouveau, plus majestueux, devant rappeler aux générations futures qu’il était devenu seul maître omnipotent.

Sa puissance n’en est pas moins limitée, à l’intérieur, par celle des eunuques et de la haute noblesse coréenne ; le peuple ne compte pas, sinon pour payer des impôts et se soumettre aux caprices et aux rapines de ces deux classes dominantes. Les eunuques, surtout, sont très en faveur, et les révolutions de palais qui ont éclaté, ces dernières années, n’ont fait que consolider leur pouvoir ; ils sont au courant des affaires publiques et privées, et leur chef assistait, impassible, silencieux, mais attentif, à l’audience impériale et soufflait même ses questions au prince héritier.

La Chine a rayonné dans ce pays par son autorité morale et sa grandeur matérielle, et, pendant longtemps, la Corée a évolué dans son orbite en lui empruntant un peu de son prestige jadis éclatant, et recevant d’elle une partie de sa lumière ; néanmoins il a été possible à la classe aristocratique coréenne de se perpétuer par la naissance et de consolider son pouvoir par l’hérédité, ce qui est contraire aux principes administratifs chinois qui ont supprimé toute noblesse et permettent aux hommes du peuple de s’élever et d’occuper les hautes charges.

Malgré des rébellions fréquentes contre la souveraineté royale, les nobles coréens ont conservé le privilège de fournir les principaux fonctionnaires attachés au palais et aux différents ministères ; quelques-uns d’entre eux n’ont qu’une fortune modeste, mais ils ont gardé Le respect des gens du commun, et l’on voit fréquemment des cavaliers, simples manants, descendre de cheval lorsqu’ils passent près d’un noble, et continuer leur route à pied jusqu’à ce qu’ils l’aient perdu de vue.