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des affaires publiques à partir de six heures du soir. De plus, un conseiller d’état européen doit coucher, chaque nuit, au palais dans une chambre spéciale, afin d’inspirer plus de confiance à l’empereur.

Le rendez-vous était fixé à la Légation de France d’où nous sommes partis, les uns en chaise à porteurs, les autres en pousse-pousse ou rickshaw ; l’interprète de la Légation nous accompagnait, et quelques Coréens, au brassard tricolore, nous précédaient avec des torches de résine. Nous formions un cortège assez brillant qui pouvait en imposer à la population coréenne et lui inspirer l’envie de contempler les traits de cet empereur invisible pour son peuple, protégé par une étiquette rigoureuse contre la curiosité de ses sujets, confiné comme une idole puissante et révérée dans un palais inabordable au commun des mortels. En effet, l’empereur ne sort qu’une fois par an et, malgré la pompe extérieure et la splendeur de sa suite, il ne se montre pas, il reste caché dans sa chaise à porteurs ; craintifs, les Coréens se collent la face au mur et n’osent risquer un coup d’œil du côté de la chaise impériale.

Les abords du palais sont rigoureusement surveillés par des soldats placés en sentinelles tous les 100 mètres, et chargés de garder non seulement les issues et les portes d’entrée, mais aussi les murailles. Nous arrivons bientôt à la cour d’honneur, dont les arbres sont garnis de lanternes et dans laquelle des soldats en uniforme de gala, — képi, pantalon et sabre européens, — tiennent des flambeaux sur chaque marche de l’escalier qui mène aux appartements de réception. Le décor est assez pittoresque ; ces illuminations tranchent d’une façon originale sur l’obscurité des quartiers voisins, mais le silence de chacun est à noter comme si l’on entrait dans une maison mortuaire ou si l’on approchait d’une divinité recluse dans son sanctuaire.

Nous sommes reçus dans la partie du palais réservée aux Européens. Il eût été plus couleur locale d’être accueillis dans des appartements meublés à la mode coréenne, mais l’empereur estime que la politesse des cours lui impose l’obligation de se plier à nos exigences et à nos habitudes.

Dans le salon de réception, le ministre du Palais, accompagné des ministres des Affaires étrangères et des Postes et Télégraphes, nous souhaite la bienvenue et, s’inclinant légèrement, serre la main de chacun à la façon européenne. C’est un homme jeune, de taille plutôt petite, la figure fine et imberbe, la peau foncée et les yeux pétillants de malice ; ses manières sont affables, aisées ; son esprit est suffisamment cultivé pour s’intéresser aux choses extérieures et pour des questions qui montrent son désir de se documenter et de s’instruire davantage.

Autrefois, chaque ministre ou haut fonctionnaire coréen ne se montrait en public que soutenu, presque porté par deux serviteurs ; il était de bon ton pour lui de paraître accablé sous le « poids » des affaires publiques et de prouver ainsi que les fatigues de sa charge usaient ses forces et que toute son activité était consacrée au bien de l’État.

Le ministre des Postes et Télégraphes semble le plus intelligent ; il a, d’ailleurs, représenté son pays à Washington et parle couramment l’anglais ; il a profité de ses voyages à l’étranger et peut être un conseiller précieux pour S. M. Li-Hsi ; il apprend le français qu’il commence à balbutier, les autres ministres ne parlant que coréen. Ils sont vêtus d’une robe de soie bleue, légèrement serrée à la taille, sont chaussés de bas ouatés dans de fines sandales, ont le chapeau à ailettes des fonctionnaires coréens et portent autour de la poitrine une ceinture en maroquin rouge, garnie de pierreries indiquant le grade et la fonction de chacun.

DANSEUSES ATTACHÉES À LA COUR DE SÉOUL. — DESSIN DE MIGNON.

Cette partie du palais est assez élégamment meublée ; ce serait en Europe la demeure d’un propriétaire ayant cinquante mille francs de rente ; les tentures et les rideaux semblent d’un certain prix, les tapis moelleux, les tableaux attachés aux murs et les panneaux décoratifs ont été choisis avec goût, un calorifère