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Elles entrent deux par deux sur un rythme musical et commencent à danser le pas des fleurs ; elles font des rondes autour de l’une d’elles, exécutent différentes figures et se couronnent alternativement de bouquets fleuris.

Un paravent est placé dans la salle et sépare deux danseuses cachées l’une à l’autre ; à son extrémité supérieure est percé un trou de dimension restreinte. Chaque danseuse, ayant une fleur à la main, s’approche du paravent aux sons de la musique et doit lancer à travers l’orifice cette fleur qui est recueillie par sa compagne de l’autre côté. Si elle manque l’ouverture et rattrape la fleur avant qu’elle ne touche le sol, elle peut recommencer jusqu’à ce qu’elle réussisse, elle reçoit alors pour son adresse une fleur qui lui est piquée dans la chevelure, mais qu’elle s’empresse de retirer pour l’offrir à l’un ou l’autre des assistants. Elle est mise au contraire en pénitence si la fleur tombe par terre. Ce spectacle est gracieux, coquet, et de bon goût.

LE PORT DE FOU-SAN OÙ LES JAPONAIS RÈGNENT EN MAÎTRES. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Elles représentent ensuite une scène de ménage, un mari vient chercher sa femme, qui joue avec ses compagnes, et lui enlève sa mule pour l’empêcher de danser ; mais les agaceries de son épouse lui font oublier ses mauvaises dispositions et l’époux réconcilié remet lui-même la pantoufle à sa femme ; toute la troupe de danseuses disparaît ensuite, laissant le mari penaud et solitaire ; ce jeu est entremêlé de chants, chaînes de danse, entrechats.

La soirée fut terminée par les danses et les chants des soldats du régiment de Pin-yang. Ils doivent à leur vaillante conduite pendant la guerre sino-japonaise d’avoir conservé le privilège d’être habillés à la coréenne, — chapeau national, vêtement ample, blanc, — au lieu de porter le képi, le pantalon, la veste et les souliers européens. C’est aussi dans ce régiment que se maintiennent certaines traditions musicales auxquelles il doit l’honneur d’être invité à la Cour lors des grandes solennités.

Un groupe de huit à dix soldats apparaît : ils forment un cercle, et l’un d’eux chante une chanson guerrière, dont le refrain est repris en chœur ; l’air est assez entraînant, grâce au cliquetis des baguettes qui jouent un galop infernal sur un tambourin ; quelques-uns dansent, font des cabrioles assez risibles et représentent des scènes, non seulement burlesques, mais aussi licencieuses.

À minuit, nous prenions congé des ministres et rentrions à la mission après avoir rencontré, dans la rue, la surintendante du palais, que deux soldats coréens accompagnaient chez elle pour l’empêcher d’être dévalisée de l’argenterie impériale qu’elle emportait après le dîner de gala.

J’ai conservé un vif souvenir de cette intéressante réception à la cour de Corée. Bien qu’elle se modernise et n’hésite pas à prendre des habitudes nouvelles diamétralement opposées à celles d’autrefois, elle n’en conserve pas moins un cachet bien distinctif, une allure orientale, qui ne disparaîtront pas de sitôt. La Corée est envahie par des hommes entreprenants qui veulent la faire sortir de sa routine et secouer sa somnolence séculaire. Elle me fait un peu l’effet de l’Égypte, vers la moitié du siècle dernier, alors que négociants, ingénieurs, industriels, fonctionnaires étrangers, banquiers, hommes d’affaires, etc. changèrent la physionomie de l’ancien royaume des Pharaons, et, toutes proportions gardées, l’empereur Li-Hsi voudrait être le « Méhémet-Ali » de son empire.

Nous quittions Séoul, le lendemain de cette soirée ; le ministre du Palais, accompagné du général Yi, commandant l’École militaire, et d’un colonel de l’armée coréenne, venait, avant notre départ de Tchemoulpo, nous rendre visite à bord du Friant.

Notre tournée sur les côtes de Corée se termina par la visite de Fou-san, port situé sur la côte sud-est, en face du Japon, et ouvert au commerce étranger depuis quelques années.